Après avoir vu le précédent et premier long-métrage d'Erwan Le Duc, Perdrix, je m'étais promis (si je ne cassais pas ma pipe avant !) d'être au rendez-vous pour le deuxième. En effet, j'avais beaucoup aimé ses personnages décalés, évoluant dans des cadres, extérieurs et intérieurs, tout ce qu'il y a de plus réaliste, la science du comique et la science de la poésie qui s'en dégageaient. Parmi toute cette galerie de caractères hauts-en-couleurs, il y a un père, incarné par Nicolas Maury, élevant seul sa fille (enfin, c'est plutôt l'inverse !). Ce duo père-fille est intéressant et peu banal dans la mesure où l'immaturité du premier est compensée par la maturité de la seconde.
Ben, La Fille de son père, c'est un peu comme si on les retrouvait dans un film qui leur est spécifiquement consacré. Il y a un peu près les mêmes attitudes, même si ici, les échanges sont volontiers nettement plus affectueux, moins agacés, se chambrant de temps en temps, entre êtres qui s'apprécient. Évidemment, ce sont d'autres personnages, d'autres acteurs, les Vosges sont remplacées par la région parisienne, etc. Reste qu'il n'est pas interdit de penser qu'il y a une sorte de filiation.
Et dans la première partie (oui, outre l'introduction, presque sans paroles, montrant comment notre protagoniste a fini père célibataire, il y a deux parties assez distinctes !), celle se déroulant en région parisienne (ainsi qu'à Metz !), on retrouve vraiment un cinéaste, avec sa patte bien personnelle, qui donne quelques gags visuels et poétiques remarquables (comme le transport dans le break de l'équipe de football, la confrontation sur le parking à côté du terrain de sport, la manifestation concernant le réchauffement climatique, dans la cour du lycée, avec le globe terrestre en flammes !) et des personnages, principaux et secondaires, savoureux et interprétés avec brio.
Comment oublier ce pote agent immobilier frustré de vendre des logements qu'il ne pourra jamais s'offrir et qui ne manque jamais une occasion de grignoter, cette maire à ce point éco-anxieuse que ça la pousse à prendre sur un coup de tête des décisions importantes du jour au lendemain, et surtout ce petit ami (à mourir de rire !), s'exprimant comme un livre, philosophe féru de poésie et d'amour courtois, mais dépourvu de la moindre notion de tact. Ah oui, il y a aussi les retrouvailles du cinéaste avec l'excellente Maud Wyler, plus en retrait comparé à Perdrix, changeant considérablement de registre puisqu'elle passe de la casse-burnes sans gêne, de compétition internationale, à une compagne patiente et compréhensive.
Et bien sûr, il y a le père et la fille. Un père qui est en resté à l'âge de ses vingt ans, après le traumatisme d'avoir été quitté du jour au lendemain par la mère de sa fille, lunaire, dirigeant avec incompétence une bande de bras cassés en tant qu'entraîneur de football, ayant mis beaucoup du poids de son besoin d'affection sur les épaules de son unique progéniture. Le choix de Nahuel Pérez Biscayart pour incarner ce rôle est pertinent, non seulement pour le talent du comédien, mais aussi pour son physique un peu gamin, malgré l'approche de la quarantaine. Une fille endossant par la nature des choses le rôle de chef de famille, bien plus terre-à-terre, sachant se contenter de ce qu'elle a, à qui la charismatique Céleste Brunnquell prête ses traits.
Une fois la première moitié, plutôt comique, parsemée de touches dramatiques enrobées de légèreté, terminée, à partir de l'instant où une figure du passé réapparaît inopinément, il y a une grosse rupture dans le ton (symbolisé aussi géographiquement !) en virant totalement dans le dramatique (si je fais abstraction de la remémoration de l'entretien d'embauche du jeune papa pour devenir entraîneur... c'est du pur Le Duc et c'est redoutable pour les zygomatiques !). Le rythme paraît d'un coup plus étiré, créant un contraste très prononcé comparé à ce qu'il y avait avant.
Si cette seconde moitié compte quelques séquences originales par leur mise en scène (je pense surtout à l'hallucination dans l'hôpital !), je n'ai pas pu m'empêcher de ressentir de la frustration. Ben oui, j'aurais préféré rester en région parisienne avec ces personnages secondaires superbement croqués et joués, voir comment les diverses intrigues et relations évoluent et se concluent (excepté un, aucun arc narratif n'est achevé !) au lieu d'aller chercher ailleurs, avec les deux personnages principaux, un fantôme.
D'abord, la singularité de l'œuvre est sacrifiée à la conventionnalité. Oui, ce genre de traque a été déjà vu et revu des milliers de fois au cinéma. Et puis, bordel, comme je l'ai mentionné auparavant, il y avait largement de la matière justifiant de ne pas quitter la région parisienne (sauf éventuellement pour quelques intermèdes messins !). Les liens entre le père et la fille dans leur petit univers suffisaient amplement pour donner une réussite digne de Perdrix, quitte à occulter (du moins physiquement !) la mère absente. Oui, j'ai saisi que c'était un moyen de faire entrer symboliquement notre ado presque quadragénaire dans l'âge adulte. Mais, j'aurais préféré ne pas partir de la région parisienne. Il y avait tout ce qu'il fallait là.
Bref, pour moi, La Fille de son père est une demi-déception, à cause du potentiel de ouf de la première partie. S'il y a un troisième long-métrage (partant du principe que je ne serai pas encore un petit tas de cendres dispersé !), je ferai acte de présence, en espérant que cette fois qu'Erwan Le Duc conserve la particularité de son monde du début jusqu'à la fin.