Quelques mois avant de sortir Törst (traduit tantôt par La Fontaine d’Aréthuse, tantôt par La Soif), Ingmar Bergman tournait La Prison, premier scénario original écrit de sa plume qu’il tournait par lui-même. Echec autant critique que commercial, le film abordait une thématique particulière : celle de l’enfer sur terre, et de sa fuite au travers des relations de couple. Il n’y a qu’un pas à faire pour affirmer que La Fontaine d’Aréthuse n’est qu’un remake de fond de La Prison, ce qui n’est que partiellement vrai.
En dehors d’une conclusion légèrement moins pessimiste et définitive, le cheminement philosophique emprunté par Bergman dans La Fontaine d’Aréthuse n’a rien de nouveau. Il est même assez amusant d’interchanger des lignes de dialogues avec La Prison et de mettre en avant des similitudes troublantes : la vision est moins globale, et se rapproche parfois subtilement de l’autobiographie. On connaît les relations compliquées de Bergman avec les femmes (il en épousa pas loin d’une demi-douzaine, et c’est sans compter ses très nombreuses maîtresses), il n’est donc pas surprenant que l’idée de l’impossibilité de la vie conjugale fasse aussi partie intégrante de sa réflexion. C’est finalement la principale différence qui sépare La Fontaine d’Aréthuse de La Prison : celle de la désignation explicite d’une solution par Bergman à l’horreur du monde. L’âme sœur, pour lui, n’existe pas, mais être accompagné est préférable à la solitude lorsque l’on affronte les malheurs de la vie.
Plus digeste car bien moins cynique que certains de ses précédents travaux, Bergman trouve ici une forme de poésie anthropomorphique. Teinté d’une douce mélancolie appuyée par les flashbacks, la beauté de La Fontaine d’Aréthuse n’en est que renforcée par sa formidable esthétique. Le talent du metteur en scène pour filmer des visages, surtout en plan rapproché, ce mouvement passionnant du cadre dans ces environnements étriqués, ce jeu habile du hors-champ lors de certaines scènes… Sans être un monument de mise en scène, La Fontaine d’Aréthuse est une mine d’or d’analyse pour quiconque s’amuse à lire entre les pellicules.
Le parallèle avec La Prison saute aux yeux, mais en se révélant narrativement moins confus, plus pertinent et surtout beaucoup plus accompli dans sa démarche difficile, La Fontaine d’Aréthuse est une réussite évidente tant sur plan plastique que scénaristique. On en regretterait presque des retours en arrière qui s’enchainent péniblement ; car ni vu ni connu, La Fontaine d’Aréthuse livrait déjà pour l’époque une fournée de personnages féminins absolument brillants, quel que soit le point de référence temporel. Et ça, peu de cinéastes peuvent s’en vanter.