L'être humain moyen n'apprend jamais, c'est une réalité. On a beau connaître des cycles terrestres de violence et d'oppression que monsieur tout le monde haïra son voisin par méconnaissance. Encore et encore. Cependant il arrive que quelques petites anomalies viennent s'infiltrer dans ce schéma bien huilé, donnant espoir en l'existence et en cette douce illusion d'aimer autrui davantage que soi-même. Dans La forme de l'eau il est question d'aborder ce même espoir, aussi fugace, fragile et sublime soit-il. Il appartient alors à son créateur d'enlever les boulons de la tuyauterie, d'ouvrir les vannes et de laisser s'échapper ce qui doit l'être...pourvu que le monde mérite un peu de tendresse.


1962, États-unis, au cœur de la Guerre Froide opposant soviétiques et américains, Elisa n'a que son corps pour se faire entendre, faute d'une parole. Encore faudrait-il qu'on veuille bien l'écouter, elle qui chaque jour, ou plutôt chaque nuit, s'occupe de laver, éponger, brosser et briquer la saleté d'un laboratoire tout à fait particulier. En effet, un soir survient une caisse d'eau maintenant en son sein une créature des plus formidables ; amphibie mais bipède. D'abord intriguée par cet être de l'eau qu'on teste et torture pour en faire un atout face aux communistes, Elisa se prend d'affection pour lui, laissant même certains fantasmes (par elle-même interdits) tenter de s'exprimer. Lorsqu'un espion russe compatissant, un colonel exécrable, une femme de ménage prolixe et un voisin consommateur de tarte au citron se mêlent à l'histoire naissante, cette dernière craint d'être avortée dans l'œuf...mais cherchera par tous les moyens à en percer la coquille.


Avant toute autre chose, il me semble primordial d'exprimer un certain soulagement. Non pas que je craignais quoi que ce soit sur ce projet intriguant, seulement qu'il ne soit qu'un film mineur de la carrière de Del Toro, assez naïf et à la limite de l'auto-plagiat pour qui a déjà vu Hellboy. Je trouvais dommage de repousser encore davantage l'adaptation ô combien excitante des Montagnes hallucinées pour du romantisme. Mea maxima culpa, rien de mineur ici, juste une belle et dramatique histoire qui, si elle n'est pour autant pas bouleversante à traumatiser des générations entières de cinéphiles, communique parfaitement et lisiblement ce qu'elle a au fond d'elle.


Si par ailleurs quelques personnes pourront s'offusquer sur une étrange relation, il me semble important de leur rappeler que la fascination du "monstre" est intemporelle. Ce serait alors bien idiot de s'arrêter à cela quand on nous offre tout autour un tel écrin de délicatesse. Il y a d'un côté Elisa et de l'autre la créature ; tout deux se rejoignant dans et par l'eau, symbole éminemment utérin, archaïque, lieu où une étreinte peut insuffler le désir fougueux de continuer. Et au fond de l'eau nul besoin d'une parole pour se faire comprendre tant elle devient inutile.



Incapable de percevoir La forme de Toi, je te trouve tout autour de moi. Ta présence remplit mes yeux de ton amour. Ça humilie mon cœur...car tu es partout.



Hormis ce ressenti agréable au cœur pour qui s'investirait dans la sensibilité de l'œuvre, La forme de l'eau peut se targuer d'une ambiance tout ce qu'il y de plus efficace avec notamment certains thèmes musicaux aussi doux qu'une pluie dominicale. La réalisation se veut maîtrisée, sous le regard d'une caméra constamment mobile. Visuellement, si le côté aquatique s'avère techniquement très réaliste, il exprime lui aussi bien des choses : d'une prison poisseuse à une salle de bain faisant émerger les passions en passant par une pluie battante (parfois teintée d'une grande violence), le spectateur est accompagné dans les péripéties par des ambiances de circonstance. Et pour un film s'intitulant La forme de l'eau cela est tout à fait cohérent.


Guillermo Del Toro livre ici un récit fort aux enjeux, certes, bien connus mais ne déméritant pas. Alors avec l'aide de quelques interprétations d'acteurs en plein investissement et une écriture fine de protagonistes, La forme de l'eau acquiert sa personnalité propre ; à savoir un conte dramatique marquant.

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le 30 janv. 2018

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Fosca

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