APRÈS SÉANCE
Peu habitué au travail de Guillermo Del Toro, j’ai néanmoins été rapidement hypé par La forme de l’eau lorsque j’ai vu pour la première fois l’affiche du film (notamment celle bordée de blanc telle un polaroïd). Son visuel très flottant et monochromatique m’a instantanément intrigué. A l’heure où les affiches de cinéma s’uniformisent pour toujours faire apparaitre la brochette des 5 ou 6 héros au premier plan, avec le visage du méchant en fondu en arrière-plan, jouant sur les nuances bleu/orange, les quelques affiches redorant le blason de cet art sont suffisamment rares pour être souligner.
Et il y a une chose qu’on peut d’ores et déjà dire : le film épouse parfaitement les codes de son affiche.
Dans ce film, on suit Elisa (Sally Hawkins), une femme de ménage muette travaillant au sein d’un complexe gouvernemental américain top secret. En pleine guerre froide, cette base devient un jour le lieu de recherche (comprenez séquestration et torture) sur une créature amphibie pêchée en Amérique du Sud. Dans ce monstre incompris et incapable de parole, Elisa va y trouver une âme sœur qu’elle va devoir sauver d’une souffrance et d’une mort certaine.
SUR LE FOND : 7 étoiles
Alors oui, dit comme ça, on entend jusqu’ici les yeux roulant devant tant de niaiserie. Il est clair que La forme de l’eau n’est pas tout public et qu’une bonne part des spectateurs va rester pendant les 2h de film complétement hermétique à ce genre de poésie ostentatoire. Mais dès la scène d’ouverture, le film est honnête avec nous. Dès la scène d’ouverture, où la caméra se ballade de manière très flottante dans un appartement complètement immergé, la voix off est clair avec nous : Déjà, il y a une voix off. Ensuite, il est question de « prince » et de « princesse muette » … On est clairement devant un conte, une fable féérique, une poésie onirique. Ainsi, dans ce film, tout a un sens métaphorique. L’eau représente évidemment l’amour, comme Guillermo Del Toro a pu l’expliquer lui-même :
Love is real and, like water, it is the most gentle and most powerful force in the Universe. It is free and formless until it pours its recipient, until we let it in.
Il est question d’amour dans La forme de l’eau, quel que soit le sens du terme : sentimental et physique. L’amour interdit, l’amour incompris, l’amour face aux barrières sociétales. L’amour inonde ce film, tout comme l’eau au sens propre. Il existe un lien entre les deux, il suffit de voir le rituel matinal d’Elisa, les pluies s’intensifiant tout le dernier tiers du film ou la scène des deux gouttes de pluie qui virevoltent, qui dansent sur la vitre du bus pour ne faire qu’une au final.
L’eau (et l’amour donc) a également une signification de délivrance à la fin du film. C’est par l’eau (et par l’amour donc) que la créature marine retrouve sa liberté et qu’Elisa est sauvée.
A travers ce film, il y a aussi la déclaration d’amour de Guillermo Del Toro. Déjà aux films de monstre (la créature étant manifestement inspirée de l’Etrange créature du lac noir), mais également à l’art. Le personnage principal est fan des comédies musicales de l’époque qu’elle semble connaitre par cœur, jusqu’au pas de danse. C’est d’ailleurs la danse, tout comme la musique, qui joue le rôle important de connecter Elisa et la créature. Le voisin/colloc’ d’Elisa, Giles (Richard Jenkins) est un artiste peintre, en retard sur son époque. Ils habitent tout deux au-dessus d’un cinéma dans lequel la créature va être happée par l’écran et par les images qui y défilent. Le cinéma, la peinture, la danse, la musique… L’art est dans La forme de l’eau, ce qui définit la beauté des personnages. Celles et ceux sensibles à l’art sont foncièrement bons. A l’inverse, pour le méchant colonel Strickland (Michael Shannon), la couleur sarcelle (teal en VO) n’est qu’un bleu verdâtre.
Ceci n’est qu’un élément parmi d’autres accentuant le manichéisme abusif de ce film. Les personnages sont (volontairement je pense) caricaturaux, stéréotypés. Le conte ne fait pas dans la nuance : la muette incomprise, amoureuse et ingénue, le vieil artiste gay, seul, et dépassé par le temps que ce soit dans son art ou dans sa vie, la femme de ménage noire (Zelda interprétée par Octavia Spencer) qui fait autant la boniche à la maison qu’au boulot, le docteur Hoffstetler (Michael Stuhlbarg) espion russe déchiré par ses deux amours : sa patrie et la science. Et évidemment, le méchant colonel à la mâchoire carrée dénigrant femmes, noirs, subordonnés, et enfants, qui n’a comme motivation que sa carrière, la reconnaissance de ses supérieurs et l’image d’homme alpha qui renvoie au monde.
Ajoutons évidemment la créature sous laquelle se cache Doug Jones décidément habitué aux costumes inconfortables après Abe Sapien dans Hellboy ou Saru dans Star Trek : Discovery. L’atout subit les réactions des hommes face à leurs incompréhensions et à leurs peurs de l’inconnu/du différent (tout comme dans le l’Etrange créature du lac noir). Et comme disait un grand maitre :
La peur mène à la colère, la colère mène à la haine, la haine… mène à la souffrance.
De la souffrance, il va y en avoir quelque unes, notamment de la souffrance physique. Le film surprend à quelques moments par son manque de fioritures (vrai aussi pour le traitement de la sexualité). Les doigts, qu’ils soient enfoncés dans la bouche d’un autre ou qu’ils soient recousus, ils font faire détourner le regard de certain. Et ceux du colonel Strickland, devenant de plus en plus noirs et putréfiés au fur et à mesure que sa haine le gagne, sont là encore une belle métaphore.
SUR LA FORME : 8 étoiles
Avec pas moins de 13 nominations aux Oscars, il est fort probable que La forme de l’eau remporte quelques statuettes dorées. Et à mon sens (notamment au vue des autres films nommés), Guillermo Del Toro mériterait de repartir avec dans la poche, celle du meilleur réalisateur. Même si le film n’est pas un concentré de technicité pure où on va vous mettre un énorme plan-séquence juste pour vous montrer qu’on arrive à en faire un, il a la qualité tout de même de développer son univers et de s’y tenir.
Apparemment, dans l’élaboration du projet, il avait été un moment question de faire un film en noir et blanc, accentuant ainsi le contexte historique de l’intrigue, la référence aux vieux films de monstre etc. Même si finalement le film a été tourné en couleurs, on retrouve évidemment une image très souvent monochromatique tirant sur un bleu-vert aquatique très 60’s, que ce soit pour les décors ou pour les accessoires (green Jello, green pie, green car, green candies…). Ainsi, l’atout se confond parfaitement avec cet environnement, et c’est le colonel Strickland, avec sa chemise plus blanche que blanche, qui donne l’impression d’y être presque étranger.
Le noir et blanc a toutefois été préservé pour la scène où la créature et Elisa chantent et dansent comme dans une comédie musicale de Fred Astaire. Une façon de couper cette scène du reste du film, Elisa étant (je pense) en train de rêver, d’imaginer le pur moment romantique qu’elle aimerait partager avec l’atout. Je ne vous cache pas que c’est une scène surprenante qui m’a très moyennement séduit.
Dans cet environnement, la caméra se déplace continuellement par des mouvements flottants ce qui fait naturellement allusion au milieu aquatique mais aussi à l’univers du conte et du rêve. Elle se déplace au sein de sublimes décors vieillis, salis ne faisant pas toujours dans l’authenticité mais qui ont une énorme cohérence avec tout le reste. Et là, je suis embêté parce qu’il y a aussi Blade Runner 2049 de nommé pour l’Oscar de la meilleure direction artistique…
Passons alors aux effets spéciaux qui sont d’une qualité quelque peu inégale. D’un côté, les effets d’immersion sont magnifiques. Optimisés numériquement bien entendu, ils font néanmoins appel à des jeux de brumes, de lumières et de vents donnant l’impression que les personnages sont sous l’eau. Et c’est super beau, super réaliste. Mais d’un autre côté, il y a le costume de la créature, pourtant censé être la focalisation principale des attentions. Tant que l’atout est en partie immergé et qu’on la voit que par parcimonie, tout va bien. Mais il y a eu un choix de fait, celui de très vite montrer la créature de la tête aux pieds palmés. Et ma réaction a été « moué… ».
When he looks at me, the way he looks at me... He does not know, what I lack or how I am incomplete. He sees me, for what I am, as I am.
Autre point fort du film, sa musique. Vu l’importance que peut jouer les musiques diégétiques dans La forme de l’eau, il fallait une BO à la hauteur du projet. Et Alexandre Desplat, compositeur français (merci pour l’info JohnHiboy), propose ici d’excellents thèmes « elfmaniens » comme celui d’ouverture ou celui d’Elisa. C’est aérien, flottant, rêveur. Bref, en cohérence avec le reste. Au final, on ne sait pas trop si on regarde un film vieillot réchauffant une histoire d’amour interdit ou une œuvre (juste) poétique et moderne.
Bonus acteur : NON
Malus acteur : NON
NOTE TOTALE : 8 étoiles