Admirablement construit et pensé, « La Garce » fait partie de ces œuvres complètes, terriblement cruel et pourtant profondément humaine, pouvant compter sur les talents conjugués devant comme derrière la caméra. Car King Vidor était un grand, un très grand : difficile d'écrire le contraire devant toutes ces scènes mémorables, superbement filmées et éclairées, le tout avec un sens de la rigueur et de la précision rare. Mais si la réussite de l'œuvre est aussi complète, c'est aussi grâce à la finesse d'écriture caractérisant chaque personnage : toutefois, si tous les seconds rôles sont très intéressants, c'est évidemment celui de Rosa Moline qui retient toute notre attention.
En effet, alors que celle-ci devrait nous être odieuse (ce qu'elle est quand même à plusieurs reprises), on ne peut s'empêcher de la comprendre, voire de l'estimer. Il faut dire que la prestation magistrale de Bette Davis apporte toute la complexité possible à ce superbe portrait de femme, dans lequel on lit, ne serait-ce que quelques secondes, une détresse, un désespoir, un mal-être profond devant lequel on ne peut que compatir. C'est là l'un des grands talents de « La Garce » : nous offrir une héroïne inoubliable, unique en son genre et franchement subversive pour l'époque... Une immense actrice pour un immense rôle, le tout par un immense réalisateur : cela ne pouvait donner qu'un immense film.