On ne présente plus la franchise Lego, marque intergénérationnelle et intemporelle qui a su habilement tirer parti de l’imagination débordante de plusieurs générations d’enfants. Très logiquement, il fallait bien qu’un film sorte un jour pour marquer ce succès incontestable, ne serait-ce que pour rassembler plusieurs générations dans les salles de cinéma et pour s’assurer ainsi un succès commercial à la hauteur de la firme. Ce constat étant fait, il était naturel d’avoir une certaine appréhension quant à la qualité de ce film. Pour ma part, je l’avais déjà classé inconsciemment dans la catégorie « film publicitaire lisse peut-être un peu rigolo ».
L’histoire nous conte les aventures d’Emett, ouvrier lambda dans une entreprise lambda, qui vit dans une ville lambda, écoute de la musique lambda et regarde des show tv lambda… Bref, un mec très chiant comme vous et moi (enfin, surtout vous), qui se révélera, au cours de cette grande aventure, en véritable héros prêt à sauver le monde ! Jusque-là, rien de nouveau et de bien original, si ce n’est déjà, dans un habillage tout en joyeusetés, une critique virulente (oui oui, virulente) de la culture de masse et de la vie d’esclave moderne.
Dés les premières minutes, la réalisation sans faille du film rassure d’emblée et confirme ce qui a été vu dans la bande-annonce. Ici, point de 3D dégueulasse et lisse, on a vraiment affaire à des briques Lego en mouvement, plus ou moins saccadé, rappelant les innombrables vidéos Lego amateurs réalisées en stop-motion. Ainsi, le film instaure d’entrée une complicité avec le spectateur. A ce titre, la scène de la douche au début du film est un petit bijou (l’eau qui sort de la douche est en Lego, bordel !).
De nombreux univers Lego sont représentés dans le film avec beaucoup d’humour et d’inventivité. On ose à peine imaginer les heures de boulot qu’ont du représenter les différentes constructions de bateaux, de bâtiments et de vaisseaux spatiaux, toutes plus originales les unes que les autres (le robot pirate est à tomber). Du début à la fin, le rythme du film est très soutenu : durant 1h40, ce sont des milliers de briques colorées qui explosent dans tous les sens dans des actions saccadées, à tel point qu’il en devient souvent difficile d’admirer la richesse des univers proposés (mais ça constitue également une bonne excuse pour revoir le film plus en détail).
La Grande Aventure Lego est avant-tout un film décomplexé qui multiplie les clins d’œil à la culture geek et les références cinématographiques diverses. Les nombreuses licences présentes jonglent les unes avec les autres, dans un joyeux bordel total. Les personnages mythiques (Batman en tête) et les différents univers Lego sont constamment tournés intelligemment en dérision. Le film est extrêmement riche en contenus et tout s’emboîte parfaitement sur la trame narrative.
Jusque-là, La Grande Aventure Lego apparaît comme un divertissement familial frais et sympa. Mais là où le film surprend, c'est par son discours plutôt inattendu et finement mené. Sans être un pamphlet anti-capitaliste, le film aborde néanmoins des thématiques insoupçonnables à l'entrée de la salle de ciné. Avec un regard presque dystopique, le film offre ainsi un regard critique sur la société actuelle et sur ses dérives. A Brickburg, c’est la culture de masse abrutissante et le bonheur mécanique qui sont directement visés, dans une société où tout le monde œuvre pour le bien commun, au détriment de l’individu. « Everything is cool when you're part of a team ». Tout cela, sous le regard de l'omniprésent Lord Business, PDG du géant Octan, multinationale multiservice tentaculaire qui n’est pas sans rappeler un certain Google…
En donnant vie aux petits personnages jaunes et en les inscrivant dans un univers proche du notre (Brickburg), c'est toute la raison d'être des produits Lego qui s'applique à nos vies. Le film invite le spectateur à détruire et à reconstruire en permanence, tout en affirmant sa personnalité, à l'image des différents personnages que rencontrera notre anti-héros. Plus que ça, il s'inscrit comme un véritable plaidoyer contre toute forme de vie rangée et aseptisée en se moquant allègrement des gens qui se contentent de suivre les instructions. On assistera ainsi à la profonde transformation d’Emett, personnage transparent proche du mouton qui laissait jadis la télévision et la radio penser à sa place. En sortant des sentiers battus malgré lui, Emett s’affirmera comme un être capable de construire ce dont il a envie avec pour seule limite son imagination. La boucle est bouclée, la raison d’être de la marque Lego s’applique ainsi à l’individu.
En déconstruisant brique par brique les univers Lego, les licences, les personnages de la mythologie contemporaine et les dérives de notre société, Phil Lord et Chris Miller ont construit un film solide et déjanté qui n'a aucunement besoin de Kraggle pour tenir debout. Véritable ode à la créativité et à la singularité, La Grande Aventure Lego aurait pu être une immense bouse en 3D dégueulasse reposant sur quelques références geek et sur le succès d’une franchise qui n’est plus à démontrer. En lieu et place, on assiste à un film intelligent et drôle, d’une richesse incroyable, qu’il faudra revoir encore et encore pour en apprécier toutes les subtilités. Sur ce, j’vous laisse, j’ai un TANK PIRATE à construire.