Qu'est-ce que c'est que ce Sirk ?
Detief Sierck n'était pas une perdrix de l'année quand il devint Douglas Sirk, et sa carrière étasunienne est en fait assise, comme c'est le cas pour pas mal de ses collègues européens réfugiés de l'autre coté de l'Atlantique, sur une oeuvre passée déjà importante.
En voyant la Habanera, son dernier film allemand, on se dit que les producteurs hollywoodiens étaient soit camés à mort, soit de grands optimistes, pour oser engager dans leur studio le réalisateur de ce naufrage artistique.
En fait je ne sais pas trop comment hiérarchiser les choses, tant tout est absurde, nul et non avenu dans cette soupe à la grimace. L'histoire est d'une minceur à faire se suicider une feuille à rouler, elle est particulièrement mal racontée, entrelardée d'une effroyable intrigue médicale tournant autour d'un Sérum Lambert dont on ne saura rien (encore heureux !), les personnages sont ineptes, le maquilleur avait un compte à régler avec l'humanité entière, quant au cadreur, il a dû découvrir l'alcool local avec un peu trop de ferveur (on boit quoi aux Canaries ?) pour parvenir à toujours laisser dans ses bords cadres des détails horripilants - éventails, archets de violons, et autres pales de ventilateur- qui agressent et distraient l'oeil déjà éprouvé du spectateur ébaubi.
Au coeur de ce fiasco lymphatiquement atone, où toute une ile antillaise parle allemand sans coup férir (ah la la le bonheur de la corrida dans la langue de Goethe), se déploie la fameuse Zarah Leander, "la" suédoise du Reich, censée contrecarrer l'expansion de Garbo aux Etats-Unis. Étonnante Zarah, sorte de mélange entre la Jennifer de la Starac et un travesti dépressif de chez Michou, le front constellé d'accroche-coeurs encore dégoulinants de salive. On hésite : est-ce pire quand elle chante (je crois que Marie Paule Belle lui a tout piqué, coté mimiques et voix en cascade) ou quand elle essaye de jouer ? (une étude un peu poussée de son rythme respiratoire permet de conclure avec certitude : Zarah n'entrait jamais sur un plateau de cinéma sans avoir au préalable disposé deux ou trois boules de geisha au plus profond de son intimité, donnant à ses regards langoureux quelque chose d'aussi désespéré qu'un orgasme sans fin).
Malgré tout, si vous êtes toujours décidés à vous aventurer sur ces terres accidentées et méphitiques, faites en sorte de ne pas arrêter le film avant d'avoir atteint la scène entre la mère enfiévrée et le fils apeuré par toute la puissance du désir féminin, au son d'une comptine pas si innocente que ça : "Tu ne peux pas savoir"... Nous, au Ciné-Kloub, on a tant ri, qu'on a bien failli y laisser notre peau.