Le père Gabin, faut pas le chercher. On l’a déjà vu à de nombreuses reprises filer des paires de taloches dans des polars d’après-guerre à des petites frappes ou à des garces, molester des truands ou carrément les repasser. Mais là, il y va fort. En paysan patriarche d’un autre temps qui règle les choses à sa manière, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il dessoude sévère dans cette Horse vilipendée par la critique et acclamée par le public à sa sortie. Pour l’époque, le film est sacrément novateur tant on croirait y voir du Bronson avant l’heure. C’est sec, brutal et sans concession. On tire à la chevrotine à bout portant, on envoie des voitures américaines au fond des lacs, on viole des gamines, on brûle des hangars, on écrase des vaches, on éparpille à la grenade, bref on ne fait pas dans la dentelle et c’est quand même un parti-pris radical en 1970. En 1h20 à peine, même si l’action n’est pas au cœur d’un film qui est d’abord le portrait d’un homme, on en voit de toutes les couleurs.
Un drôle de portrait d’ailleurs. C’est curieux quand même une image qui vous colle à la peau. Cette image de patriarche arriéré, on l’associe toujours à Gabin. Et très souvent on lui reproche de nous sortir toujours la même partition. Et pourtant, en 1970, quand sort cette Horse, combien de fois Gabin a-t-il interprété ce rôle de patriarche ? Si peu et dans des contextes qui n’avaient rien à voir (Rue des Prairies où il était un père dépassé par ses progénitures, Les Grandes familles qui était une satire violente de la bourgeoisie). Car jamais avant ce film, on ne l’avait vu en paysan patriarche. Tout cela pour dire que les critiques qui descendent ce film sous prétexte que c’est du vu et du revu me paraissent totalement infondées. Ce film, c’est forcément la dernière partie de carrière de Gabin et il y a bien longtemps qu’il n’est plus en âge de jouer les jeunes premiers. Il incarne donc un vieux bourru d’un autre temps, ce qu’on l’a vu déjà faire bien avant, ça on peut en convenir, mais en augmentant sacrément le curseur. Et toujours avec autant de conviction.
Si la trame ne brille pas par son originalité (bien que la dernière partie relance intelligemment le récit), son efficacité est indéniable. Menée sur la superbe partition de Serge Gainsbourg (délicieusement en total décalage avec le ton du film), elle suit un rythme bien maîtrisé qui ménage habilement scènes d’action sèches et tableau d’un schéma rural obsolète. Jugé aujourd’hui vieilli, le résultat reste pourtant très pertinent. Du cinéma carré, plus intelligent qu’il n’y paraît, qui ausculte une certaine France rurale qui inspira les années 70 (Les Granges brûlées, La Veuve Couderc ou L’Affaire Dominici).