L'histoire s'est montrée cruelle envers Beowulf. Son flop retentissant au box office a peu à peu forgé l'image d'un film rebut, mal aimé et incapable de se montrer à la hauteur de ses promesses. En adaptant très librement l'une des plus vieilles légendes anglo-saxonnes, Robert Zemeckis a mis en effet le paquet pour concrétiser ses ambitions et réhabiliter un héros qui méritait quand même mieux que de se faire ridiculiser par Christophe Lambert. Budget king size, technologie de pointe, casting de luxe, il ne se refuse rien pour prouver définitivement au monde entier, trois ans après Le Pôle Express, que la mocap représente l'avenir du cinéma.
Le film accuse aujourd'hui un peu son âge, et force est de constater que les visages humains affichent des expressions encore trop froides, rigides. Cela dit, il faudrait être de très mauvaise foi pour ne pas reconnaître les extraordinaires progrès d'une technologie pas loin de la maturité.
Mais l'intérêt de Beowulf est ailleurs. En premier lieu dans la peinture de cet univers mythologique mi-épique mi-dépressif. En s'écartant du poème original, le toujours talentueux Neil Gaiman et le parfois talentueux Roger Avary ont bâti un script malin et moins superficiel qu'il n'en a l'air. Le duo gratte ainsi sous l'épiderme des récits légendaires pour étudier la nature profonde des hommes dont on chante les exploits. Les monstres qui menacent le royaume ne reflétant au final que les propres faiblesses de Beowulf, bellâtre arrogant et narcissique qui se désappe aussi vite que Sterling Archer, et Hroðgar, roi bedonnant et ripailleur rongé par ses erreurs. Tout juste peut-on regretter que ce traitement n'ait pas été approfondi aux personnages secondaires pour donner un peu plus d'envergure à un film qui, somme toute, passe très vite.
Par dessus tout, Beowulf incarne la force du divertissement immersif tel que le conçoit Zemeckis. Il faut ab-so-lu-ment le visionner en 3D, comme il a été pensé à l'origine, pour se rendre compte de l'extraordinaire dimension spectaculaire du film. Voilà un réalisateur qui a parfaitement compris le pouvoir de la 3D dès qu'il s'agit d'impliquer plus profondément le spectateur et de mettre en valeur du mieux possible l'univers unique créé par les artistes. Ainsi boosté par le relief, Beowulf nous happe vers l'écran avec une efficacité monstrueuse, dans les moments calmes comme dans les scènes de combat grandiloquentes, durant lesquelles le réalisateur multiplie les plans à la première personne.
Malheureusement, Hollywood a finalement coupé l'herbe sous les pieds de Zemeckis après l'ultime échec de son Christmas Carol chez Disney. Un mal pour un bien, puisque le réalisateur a su rebondir en prenant d'autres directions narratives tout aussi passionnantes, sans sacrifier à son sens du spectacle. Une chose est sûre, il n'a absolument pas à rougir de sa période mocap, dont Beowulf représente à n'en pas douter le modeste mais jouissif pinnacle.