Le synopsis bateau (de pêche), des industriels tuent un pêcheur sa femme laissée pour morte se venge, cache bien des surprises. Dans les années 80, la popularité des histoires de vengeance dans des gerbes de sang s'est tassée. Ce que semble regretter avec moi Toshiharu Ikeda qui en plus de cette Légende de la sirène réalise en 1991 une suite indirecte aux Sasori, série de films emblématiques de la vengeresse Japonaise avec l'iconique Meiko Kaji. Vous êtes probablement arrivé sur cette page depuis le film le plus célèbre du réalisateur ou plutôt son moins inconnu, le sympathique Evil dead trap. Le long métrage qui nous intéresse ici est moins provoquant et plus carré dans sa mise en scène, ce qui ne veut pas dire moins original.
Premièrement sa légende mêle la rage vindicative des sabreurs offensés au spleen des villes provinciales, caractéristiques dans les années 80 d'un cinéma japonais intimiste (Shinji Sōmai, Nobuhiko Ōbayashi) et loin du cadre urbain ou féodal du genre. Ici, un village de pêcheurs exsangue après des décennies d'exode rural que des hommes d'affaires achèvent en expropriant les habitants pour leur projet de parc aquatique. Se profile ainsi un second hommage cinématographique à un autre genre mourant : le cinéma pink, dont vient Ikeda, né dans les années 50 avec pour héroïnes des pêcheuses ama aux seins nus (désormais chastement recouvertes de blanc).
Après ces quelques minutes d'introduction, Migiwa, l'héroïne, plonge à la recherche d'ormeaux et le film dévoile sa beauté. Depuis le médiocre L'Étrange créature du lac noir (1954), on sait que des plans aquatiques réussis magnifient n'importe quel film. Habillée en blanc, nimbée d'une lumière douce, Migiwa évoque l'image des néréides et ondule à travers algues, rochers et bancs de poissons sur une musique envoûtante. Sûr de leur réussite, les scènes de plongées reviennent régulièrement honorer le titre de "sirène" dans des situations chaque fois renouvelées. À l'opposé des fonds marins grouillant de vie, le sentiment mélancolique de la ville se décuple quand la jeune mariée, et déjà veuve, y erre désespérée. Les transitions insistent beaucoup sur ce point en insérant des plan très courts de Migiwa, le regard perdu dans les ruelles vides de la ville. L'effet est brusque et les raccord directs entre scènes sans lien le sont encore plus, peut-être pour honorer l'autre partie du titre "légende" et donner un aspect conte oral en enchaînant les situations.
En plus de ce cadre, l'autre originalité est d'ajouter au récit des éléments mythologiques. Les financiers se masquent derrière un faux point commun pour rassurer les pêcheurs : le parc aquatique revitalisera la ville par le tourisme sans la dénaturer en rapport avec l'eau les animaux marins... La construction est en réalité une centrale nucléaire froide, sans lien avec la nature qui entraîne la destruction des coutumes ancestrales. Les pêcheurs sont expropriés, le bouddha est à l'abandon et violence ultime : une camionnette de yakuzas en cravates déboule au milieu d'une cérémonie funéraire. L'habituelle justice aveugle armée de son sabre ne suffit pas à s'opposer au capitalisme triomphant. Migiwa, tel un Godzilla de 50kg, devient incarnation divine. Si Ikeda nous donne à voir un bain de sang jouissif, il ne se contente pas seulement de répondre à la destruction par une destruction nihiliste à l'instar des vengeresses des années 70. L'arme que Migiwa crée est à la fois harpon de pêcheur vengeur et lance divine qui servit à la création du Japon. Ses péripéties se calquent sur la mythologie japonaise. Les retrouvailles avec le cadavre du mari en décomposition, les différents rituels de purifications qui paraissent obscurs en s'attardant sur des inserts particuliers comme l'eau ou le feu créent un parallèle avec le Kami de la création Izanagi. Ainsi le
happy end est préparé.
La Légende de la sirène est beau, calme et violent comme la mer peut l'être et traversé de gestes (divers rituels shintoïstes) et d'images rares (des scènes sous-marines sans requin affamé, rien que ça déjà...) au cinéma de fiction.