Ce genre de projet n’est, j’avoue, pas trop ma tasse de thé, dans la mesure où il ne s’agit pas tout à fait d’avancer dans le sens du cinéma (sens auquel je l’entend, évidemment).
C’est-à-dire qu’ici, il s’agit d’une œuvre qui veut à la fois s’inscrire dans et rendre hommage à la tradition de la transmission orale des récits. Une tradition ancestrale qui précède le cinéma et qui articule non seulement la structure du film, mais aussi ses figures.
Au niveau de la structure, l’intrigue démarre sous le coup de l’évocation, parlée et chantée, d’un récit mythique par un groupe de vieillards réuni autour d’un repas, à priori de nos jours.
Au niveau des figures, le mythe qu’ils évoquent (et qui constitue la suite du film) prend évidemment place dans un passé flou, imaginaire, où l’on peut à la fois porter une fraise et une carabine. Il se tient aussi dans une campagne profonde et au milieu d’une société indéterminée. Cette histoire d’amour, de lutte et de richesse est rythmée par des chants traditionnels, qui soulignent la culture ancienne (et orale) que possède déjà ce milieu, culture qui est prolongée par les vieillards de l’introduction.
À travers ce récit picaresque, on a donc clairement affaire à un film qui cherche à explorer le folklore comme culture plutôt qu’à opérer à une quelconque reconstitution historique. Cet intérêt se prolonge dans la seconde partie du film, qui multiplie encore les strates du récit en convoquant les histoires de marins et la culture indigène (un homme se fait d’ailleurs tuer pour avoir mis à l’écrit cette tradition orale, ce qui est considéré comme un vol).
Et dans la continuité de cette tradition orale, nous avons affaire à un film qui choisit une grande économie de récit et de style. Évidemment, mythes et légendes n’utilisent pas d’intrigue ultra-élaborées. Ils ne s'embarrassent pas de détails ou d’approfondissements et n’ont pas peur des ellipses ou du flou. Une simple ligne directrice, propre à être mémorisée et répétée, sur laquelle il est possible d’élaborer ou de varier au gré des lieux et des années.
Cette intrigue resserrée trouve son écho dans un style sec, minimaliste et bourru. C’est parce que le film veut explorer le milieu qui a accouché de ces histoires, très proches du paysage et des territoires. C’est donc un cinéma terrien dans la première partie, marin dans la seconde, qui s’intéresse plus à figurer le soleil, la rivière, la terre ou le vent qu’à accompagner ou approfondir les émotions des personnages. Ça donne quelques plans saisissants, très sensoriels et évocateurs, mais pris dans une certaine immobilité (accentués par les mouvements sobres et le format carré de l’image). L’esthétique du film se réduit donc à la plus simple expression des éléments et des paysages, parmi lesquels ont peut compter les faces ridées et poilues des personnages lors des gros plans (visages essentiellement masculins, et la seule femme figure l’amour). C’est, pour moi, plus de la photogénie que de la cinématographie.
Mais le film n’est pas seulement intéressé par la vie pastorale et maritime et par leur côté élémentaire. Comme on l’a dit, dans le fond il est aussi fasciné par la tradition orale, plus que par les récits qu’elle raconte. En témoigne la structure, avec l’introduction qui souligne le caractère raconté de l’intrigue du film et sa division en chapitres qui enchevêtrent les récits (et offrent deux films en un, dans deux langues). Ce n’est pas un film sur une histoire, c’est un film sur le fait de raconter des histoires, et de le faire dans une forme ancienne. Le cinéma paraît alors tout jeune, et son dispositif, bridé.
Le projet pourrait donc se résumer comme une approche ethnologique qui connecte des récits trouvant racine à des bouts opposés du monde. Ça explore comment l’histoire d’un ivrogne en lutte avec un prince en Italie peut être reliée à la fable d’un crabe perdu sur une montagne en Argentine, pour former la légende du Roi Crabe. Ça étudie le dénominateur commun des cultures, et c’est celle de la transmission orale de mythes, de légendes, d’un folklore. Pas étonnant d’apprendre que c’est la première fiction de deux documentaristes.