Et si Eisenstein était le Tarantino des années 20 ? Drôle d'objet en tout cas que La ligne Générale, film de propagande totalement déjanté, traversée par une folie souterraine prête à exploser à chaque instant, brûlot iconoclaste qui prend le spectateur à la gorge pour le balader dans tous les sens, le secouer, le réveiller, l'atterrer, le brutaliser : de l'agit prop au pied de la lettre.
Tout commence comme un documentaire sur la paysannerie russe, miséreuse, pouilleuse, ramassis de traine-savate délaissés de tous, montrés sans fard (Staline et les années 30 mettront de l'ordre dans tout ça, bientôt les paysans au cinéma seront en pleine santé et toujours une chanson prête à jaillir pour accompagner le moissonnage), jusqu'à ce que Marfa, du fond du désespoir, trouve la force de se révolter et de pousser le village à créer un Kholkoze.
Et là le film explose : le lait jaillit comme dans un porno hardcore, les vaches s'offrent pantelantes aux taureaux en rut, les dindons ont des érections de crêtes, les moutons bavent, les bureaucrates semblent sortis d'un De Palma sous acide, les méchants sont gras comme des cochons, et les tracteurs fouaillent la terre comme une vierge qui en redemande. La vie est la plus forte, ça sent le stupre à plein nez, Sergueï se lâche !
Loin du film à thèse sage et appliqué, La Ligne générale est gargantuesque et absurde, bouillonnante et désespérée. Comme un paysan russe qui danse, sa bouteille de vodka déjà bien entamée, sur le bord du précipice. L'apocalypse joyeuse !