Sorti un an avant le chef d'oeuvre de Steven SPIELBERG, Il faut sauver le soldat Ryan (1998), il est dès lors très tentant de comparer les deux métrages. Cependant s'ils ont en commun le conflit qu'ils dépeignent et une réalisation menée chacun par des maîtres en la matière, là s'arrêtent les points communs.
Si Spielberg nous plongeait dans l'action et l'horreur de la guerre par l'entremise d'un montage nerveux, d'une caméra portée dont les soubresauts concourraient à une immersion dans le coeur même des scènes,
Terrence MALICK travaille lui sur une immersion où c'est plutôt la scène qui nous envahit. Une succession de plans contemplatifs, où la fluidité de la caméra et de ses mouvements viennent souligner la brutalité des scènes, noyées dans une beauté naturelle qui donne à l'ensemble une poésie à la fois troublante car hors de propos et oppressante tant la violence de la nature transparait dans son implacabilité.
C'est un trou de verdure où chante une rivière,
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.
Malick nous propose un film de guerre à ma connaissance unique, qui ne se contente pas d'être un réquisitoire contre la guerre ou une propagande visant à nous montrer des hommes ordinaires prêts à tous les sacrifices pour défendre des valeurs qu'on aura jugées dignes en hauts lieux, qui jalonnent habituellement ce genre.
Construit sur un rythme très lent, où la mise en place de la bataille centrale s'opère tant par l'image et la photographie admirables qui ponctuent ses actions, cette caméra parmi les grandes herbes qui sont une signature que l'on retrouve dans quasiment chaque film du réalisateur, ces plans contemplatifs sur des cieux illuminés, ces flash back et plongées oniriques dans les souvenirs et pensées intimes des protagonistes qui invitent le spectateur à s'identifier à eux, et mille autres petites astuces de réalisation et d'utilisation de la grammaire du cinéma font de ce film une réussite et une surprise, tant aux vues des autres oeuvres de Malick l'on pouvait se demander quelle vision il aurait d'un genre aussi codé que le film de guerre. Le résultat troublera mais ne pourra pas laisser indifférent et s'inscrira dans le futur comme une oeuvre jalon.
Le casting quant à lui réunit autour du maître une myriade d'acteurs de premier plan, d'où il est difficile d'extraire un nom tant les prestations sont toutes des modèles et tant le scénario ne laisse finalement pas se dégager un personnage plus qu'un autre, d'ailleurs pour nous signifier que chacun à son importance, tant le haut gradé vociférant ses ordres suicidaires que le simple soldat terrifié ou que l'ennemi finalement pétri des mêmes sentiments et sensations face à quelque chose qui dépasse l'entendement.
L'utilisation de voix off durant toute la durée du film qui nous invitent dans les différentes questions existentielles, dans l'intimité des prières et des rêves ou au tréfonds des peurs les plus personnelles de chacun appuie cette volonté de niveler les valeurs de tous en une unité humaine et de magnifier nature et impermanence.
Je suis enfin très sensible et client du cinéma de Terrence Malick et rares sont ses films où je n'ai pas trouvé mon bonheur.