La Mort aux trousses et Vertigo auront toujours les faveurs du "jeune" public. Il en est de même pour l'autre grand classique d'Hitchcock de cette période : Fenêtre sur cour. Cette assertion érige en principe la notion de plaisir cinématographique en fonction de l'âge et du temps. Les thématiques universelles et les performances visuelles des trois films ont beau séduire un large public cinéphile, l'immédiateté du classique regroupant Cary Grant et Eva Marie Saint ou la romance spectrale de James Stewart et Kim Novak sauront atteindre avec plus d'aisance "leur tendre" cible. Le rythme effréné de l'espionnage, la passion dévorante (voire la nécrophilie pour certains) mais aussi le voyeurisme constituent des sujets plus que séduisant dans la quête de sensationnalisme. On pourrait presque parler d'une accessibilité plus évidente de l'ensemble de ces oeuvres précitées tant elles titillent un endroit sensible de notre hémisphère. À contrario, To catch a thief -La Main au collet- ne s'inscrit nullement dans la performance. Il constitue au contraire une parenthèse enchantée, paravent d'une psychanalyse en pointillée annonçant un goût prononcé pour le beau et l'émergence du démon de midi.
Alfred Hitchcock a 56 ans et Cary Grant tout juste 51 ans lorsque La Main au Collet sort sur les écrans. Un film considéré comme léger par son réalisateur et rarement mis en avant par les adorateurs du Maître du suspens. Il y est pourtant assez facile d'y discerner une vision fantasmatique des deux quinquagénaires star dans la quête de perfection d'un divertissement sophistiqué entièrement tourné vers le beau. Un métrage nonchalant prenant le temps de respirer à plein nez la végétation méditerranéenne et de s'attarder sur la gastronomie française. Les mauvaises langues se perdront en palabres sur l'exotisme à la française vue par les Yankees. De notre côté, on préférera y déceler une oeuvre sur la beauté scellée dans le marbre du Carlton. Le thriller bourgeois a toujours eu ses détracteurs, ici, on l'attribue à une forme de crise de la cinquantaine. Ainsi, La Main au collet peut être représentée comme une allégorie de la crise de milieu de vie camouflée sous un divertissement aux mille ornements. On le sait, le visionnage d'un film de ce calibre varie en fonction de l'âge. Aborder cette oeuvre à vingt ans n'aura pas le même retour en bouche qu'à cinquante. Aucun miroir tendu au grand mâle occidental à l'aune de ses vingt printemps. En contrepartie une intrigue sur l'identité dérobée d'un monte en l'air, quelques scènes de casino proto-James Bond et les expérimentations photographiques (cousines du giallo) de Robert Burks sur des mains gantées aux plans de nuit saturées de couleurs inhabituelles. Pour conclure, un jeu de masques et une poursuite sur les toits pour confondre l'auteur des vols. Des substituts de choix en attendant de découvrir ce qui constituera, plus tard, l'attrait principal d'un film qui aurait tendance à percer les désirs inassouvis de l'homme au début de sa période automnale.
Qui n'a pas assimilé dans ce film Cary Grant à un beau vieux friqué en villégiature à Cannes ? Derrière un bronzage parfait et une silhouette svelte Georges Le Chat ancien voleur projette les fantasmes d'un Hitchcock plus disposé à shooter dans des endroits rupins qu'à donner du peps à une intrigue qui traine volontairement la patte. Car l'objectif du réalisateur de Vertigo est bel et bien de laisser l'hédonisme porter son héros quinqua d'un endroit sublime à un autre. D'une mer bleu azur jusqu'aux intérieurs des plus beaux hôtels de la French Riviera, les déambulations d'un oisif aisé se traduisent par ses attirances envers des femmes bien plus jeunes que lui. Cary Grant porte le demi-siècle de bien belle manière et ses deux flirts ont facilement vingt cinq ans de moins. D'une certaine manière, le personnage interprété par Grant aurait dû s'acoquiner avec Jessie Royce Landis mère de Grace Kelly dans le film et femme d'un âge équivalent au sien. Bien loin d'être l'objet des convoitises, Landis cède facilement sa place à "sa fille" plus disposée à percer le mystère de cet ex-voleur des grands palaces. Derrière la classe de Kelly, un portrait de femme moderne à la fois aventureuse et en pleine émancipation. Hitchcock fantasmait les blondes entreprenantes, voilà métaphoriquement une occasion de combler ses désirs secrets. Frances Stevens (Grace Kelly) est littéralement au top de son partenaire masculin en soufflant le chaud et le froid sans jamais dévoiler son jeu. Le minaudage aboutira à une scène de poursuite automobile où Georges "Le Chat" perdra de sa consistance devant les talents de pilote de sa partenaire au volant de sa décapotable avant de se terminer par un pique-nique en bordure de mer. Un coït sur des sièges en cuir qui annonçait sans le vouloir le fameux train dans le tunnel de la fin de La Mort aux trousses. Mais l'Art du fantasme selon Hitchcock, c'est aussi de se voir refuser les avances d'une petite frenchie sexy, cliché délicieux de la femme enfant prête à tout pour un baiser de son Prince. Pour contrer la maturité du personnage de Grace Kelly, une jeune femme de dix huit ans (Brigitte Auber) prête à relayer au second plan la prétendante de Georges lors d'un échange sur sa jeunesse...
Au travers de La main au collet, Hitchcock ne se cache pas d'aimer les femmes dans la fleur de l'âge (d'autres films de sa filmographie le prouveront) mais aussi son penchant pour la sophistication et le raffinement. L'expérience sensorielle et visuelle que représente le Septième Art devient le réceptacle de ses fantasmes. Pour sa légèreté, ce film se résumerait à une page de magazine people sur des stars en vogue sur la Côte d'Azur. Pour son auteur, elle s'apparenterait plus à la lecture d'une revue érotique de son époque. Sachez-le, derrière la carte postale du vieux Nice, se cache le jardin secret d'un metteur en scène plus si jeune et innocent...