La Mégère apprivoisée par Eustacius Bingley
Et on continue sur Shakespeare … (partie 3)
Après avoir évoqué le Roméo et Juliette de Zeffirelli, attaquons sa Mégère apprivoisée, un peu antérieure mais visionnée après. Et tant mieux, d’ailleurs, parce que ça offre un contrepoint assez intéressant.
Zeffirelli renoue avec ses constantes. La reconstitution historique est sans tache ; le casting impeccable. Elizabeth Taylor est excellente en infecte hystérique, et éclipse allègrement l’ensemble du casting, y compris un Richard Burton au jeu un peu trop appuyé. La photographie et la réalisation sont (comme d’habitude pourrait-on dire …) d’une qualité à la fois bonne et très très académique.
En somme, Roméo et La Mégère, même combat ? C’est sûr que les points communs sont légions, que ce soit dans le cadre de l’action (l’Italie dans les deux cas), le centrage de l’intrigue sur des relations amoureuses pas forcément des plus saines, les costumes, les décors, … Mais alors que la sauce prenait magnifiquement bien avec Roméo (9/10, hein, quand même), là, ça marche pas. Enfin, moins bien.
La source du problème est en fait, dans l’absence de prise de risque de Zeffirelli. Alors, oui, avant que l’on me traite d’infâme hypocrite, je sais que j’ai fait un plaidoyer POUR la prudence dans l’adaptation dans ma critique précédente. Mais je pense quand même fermement qu’il faut quand même réfléchir un peu, avant de s’attaquer à une entreprise de ce genre, à la façon de gérer le transfert de média.
Roméo et Juliette était une tragédie. Oui, certes, c’est un drame baroque, il y a mélange des genres, mais soyons honnêtes : ils meurent à la fin (spoiler !). La réalisation un peu lente, académique de Zeffirelli, marchait bien dans ce cadre pour fixer les enjeux, et si impression de pesanteur il y avait, elle servait la tension dramatique.
La Mégère est une comédie, dynamique, joyeuse, et là, ça devient tout de suite beaucoup plus lourd. La scène la plus réussie est sans doute la course-poursuite entre Catharina et Petruchio, mais on atteint quand même pas la transcendance.
De même, Roméo était vraiment centré sur le couple-titre, alors que la Mégère brasse davantage de personnages. Et, alors que le sujet du premier est éternel, les problèmes évoqués dans le second sont un peu plus loin de nous (mariages arrangés, tout ça tout ça …).
Ces deux éléments réclament une chose : l’intervention du réalisateur pour donner un angle à la vision, pour indiquer comment poivrer le potage. Sur quels personnages faut-il se focaliser ? Est-ce que l’on peut dire quelque chose en jouant avec ces personnages ? Est-il pertinent d’actualiser, de modifier l’intrigue de la pièce ? Doit-on la tirer du côté comique, ou insister davantage sur les thèmes sous-jacents, comme la quête d’indépendance des femmes ? Je prétends pas forcément avoir les réponses à ces questions, mais parfois il s’impose de prendre des décisions : l’image n’est pas un mot. L’image peut avoir plusieurs sens, un mot peut en avoir une infinité. Et Zeffirelli fait la chose à ne pas faire, ici, il ne prend pas de décisions. Il se contente de photocopier le livre, non sans talent certes, mais sans questionner son sens, en tronçonnant quelques passages au passage, rendant le livre infiniment préférable car le film n’offre rien en plus.
On peut aimer ou ne pas aimer, par exemple, le Seigneur des Anneaux de Jackson, mais force est de constater qu’il a fait des choix, et qu’il les a justifiés de manière pertinente.
Et, contrairement à Roméo et Juliette, nul scène salvatrice ou musique magistrale ne viendra transcender un résultat plan-plan.
La Mégère apprivoisée, donc, se laisse suivre sans déplaisir, mais reste un peu fadasse, comme une soupe tiède. Et une soupe tiède, c’est triste.