Thomas Salvador arbore en premier lieu un registre narratif dans lequel il n'est pas étranger : son précédent film, Vincent n'a pas d'écailles, disposait des mêmes éléments globaux qui entourent La Montagne : un homme fatigué de la vie rurale décide de tout plaquer pour aller découvrir des endroits reculés, où il ne se sentira pas perturbé par l'activité humaine. Mais la beauté du film ne résulte pas dans ce procédé somme toute très classique, mais dans sa capacité à créer ce lien invisible qui semble unir le personnage et les montagnes. Et il le fait avec un aspect fantastique d'une incroyable poésie.
La Montagne dispose d'un minimalisme à toute épreuve dans les dialogues et les relations entre les gens, laissant place à un personnage, joué par le réalisateur lui-même, très austère. Austérité qui se caractérise par sa soudaine obsession à s'improviser alpiniste pour découvrir la grandeur des montagnes. La première chose qui m'a bluffé, c'est la manière dont la roche, la pierre, la neige, est filmée. Le film ne cherche pas rendre son personnage ému et pleurant face à l'immensité de ce décor, mais il filme l'ensemble plus comme une entité impressionnante, déconnectée du réel. Certains cadres donnent presque l'impression d'être sur une autre planète. La présence qu'apporte le film aux mouvements des nuages, à la hauteur, à la forme des pics, à la dangerosité des roches, donnent une sensation tout aussi incroyable que dangereuse. Tout y est très matériel. Par conséquent, le moindre petit accident arrivant pendant le film est surprenant, car le spectateur ressent le danger de mort, la probabilité de tomber, de glisser, de se blesser. Toute la première partie joue beaucoup sur ce tableau et offre des panoramiques grandioses dans les mélanges de couleurs lors des couchers de soleil par exemple.
Sa deuxième partie, beaucoup plus orientée vers le coté fantastique qui prend le dessus par la suite, est tout aussi brillante. D'abord filmée comme un corps matériel difficile à escalader, la montagne est perçue comme une entité vivante et consciente. Ces petits êtres miyazakiens lumineux qui viennent tourmenter le personnage principal apportent une poésie au film tout en lui donnant une sorte de réflexion existentielle sur la condition humaine, en tant que corps. Cela donne lieu à des séquences originales, comme celle où le personnage se retrouve avec plein de petites entités, où la crevasse n'est éclairée que par leurs lumières, ou encore cette séquence alliant magie, esprit et fusion des corps, qui nous offre un moment cinématographique lumineux et langoureux. Comme si le film nous demandait de partir avec nous dans cette quête spirituelle. Probablement la plus magnifique du film.
Les relations ne sont cependant pas en reste, car comme dans son précédent long métrage, le personnage principal trouve avec la rencontre d'une femme, un amour infantile mais étrangement lié, là aussi, par une force invisible presque fantastique. Le personnage de Louise Bourgoin est brillant de mystère et d'ambiguïté, et offre au film une scène lumineuse d'amour et de tendresse. Là-aussi, la scène est infantile. La curiosité l'emporte sur le pragmatisme. Pas besoin d'explications ou de questions à se poser. Le film laisse place à ce court moment passionnel.
Dans sa simplicité - qui n'a pas dû être évidente techniquement parlant - La Montagne offre de vrais moments de cinéma. En mettant en avant l'immensité d'un monde si peu connu des citadins, profitant de ces décors si photogéniques, et en y ajoutant un aspect fantastique subtil et poétique. Salvador a compris qu'il n'y avait pas besoin d'expliquer des phénomènes, de filmer les conséquences de certains actes. La Montagne est comme un moment suspendu dans le temps, où des entités sous différentes formes se croisent, fusionnent, s'éloignent, dans une roche froide et enneigée que pourrait presque ressentir le spectateur, de par la manière dont ces monts sont filmés. C'est du très beau cinéma.