Les pièges sont nombreux pour les films « de montagne », cette dernière a cette particularité qu’elle installe instantanément gigantisme et vertige et est source de fantasme mystico-spirituel. Bon nombre de films vont s’engouffrer dans la brèche pour parler pêle-mêle de retour à la nature, abandon du superflu de notre société moderne, prise de conscience de soi, ou d’un isolement en montagne métaphorique de l’isolement en société et autres lieux communs qui ne sont certes pas idiots, mais très prévisibles.
Si La Montagne parle aussi de la société, ce n’est pas tant pour en faire le jugement stéréotypé de l’humain qui en subit l’aliénation, que de l’utiliser comme une toile de fond. Pierre, le personnage joué par Thomas Salvador, n’est pas excentrique, ni en burn-out, ni en pleine crise de la quarantaine. Il est montré lors de la courte séquence d’exposition comme un homme stable ayant un métier stable, et qui d’un coup d’œil, se retrouve attiré par le Mont Blanc, sa décision d’y rester un temps ressemblant davantage à une volonté de prendre quelques jours de repos ou de vacances, plutôt que comme une nécessité de survie.
Le film prend le parti de faire confiance à son spectateur, sa capacité de réflexion, d’évasion et d’interprétation. Thomas Salvador fait durer chaque séquence pour que la difficulté de l’alpinisme se fasse ressentir. Son film est brut et sans artifice. Loin de l’ode à la montagne habituelle, le périple de Pierre est froid, minéral, les conditions difficiles, et la récompense n’en est que plus belle. En prenant le parti de se focaliser sur les images et les actions de ses personnages, Thomas Salvador épure son film et évite consciencieusement de sur-signifier par la parole ce qu’il sait parfaitement montrer par la caméra, rendant le propos, les actes et les gestes, à la fois limpides et mystérieux.
L’utilisation du format 16:9 permet à la fois de pousser à la contemplation lors de plans sidérants de beauté - tournés à plus de 3800m en lumière naturelle au gré des conditions météorologiques - mais aussi de l’enfermer dans des espaces restreints, ou au contraire de le fondre dans le décor gigantesque.
L’excellente idée du film réside dans ce fabuleux jaillissement du surnaturel au travers de créatures présentes en plein cœur des montagnes, magma vivant se transformant en pierre volcanique pour se camoufler ou lors de leur « mort ». Le film bascule de l’alpinisme froid au fantastique chaleureux, où ces lueurs inconnues paraissent dotées d’une conscience, dont l’instinct premier est de se cacher ou fuir face à cet inconnu les ayant débusquées, pour ensuite lui faire confiance au point de faire corps avec lui. Faire corps, c’est également ce que va faire Pierre avec la montagne, qui va littéralement l’engloutir jusqu’à dissolution. C’est un événement banal et inattendu, l’inquiétude d’un proche, qui permettra à Pierre d’en réchapper, la montagne accouchant d’une souris.
L’économie narrative, de dialogues, de jeu d’acteurs – d’un magnétisme rare – associée à la longueur et lenteur de scènes prenant le temps de tout montrer dans les moindres détails, et les multiples splendides paysages neigeux et nuageux permettent ainsi au film de faciliter la projection des sentiments et de dégager une certaine grâce.