19h30: "Hé j'ai bien envie de regarder un petit film ce soir! Il me faut quelque chose de nouveau et pas prise de tête".
19h45: "Tiens c'est quoi ça la Montagne Sacrée? C'est mon truc les histoires de montagnes. L’Everest, les légendes autour des plus grandes ascensions d'alpinistes, j'aime ça moi!"
20h le film commence.
20h20: " Mais ... mais? Jésus? Pourquoi?! C'est quoi l'histoire, ça parle de la bible? Tiens un cul-de-jatte, c'est qui celui-là, un apôtre? Hé mais attends c'est des nazis ça? Hein?! Il fait quoi Jésus là, à manger la tête de son double en pain d'épice!!! Des ... des iguanes conquistadors? Des prostitués?!!! Des prostitués accompagnées d'une petite fille qui promène un chimpanzé?! ???!!!! Haaaaaaaa!
[VOTRE CERVEAU A RENCONTRÉ UN PROBLÈME ET DOIT REDÉMARRER]
Je coupe le visionnage, complétement déboussolé. Qu'est-ce que je venais de voir? Je voulais juste me divertir devant un petit film et voilà que l'on m’envoie pêle-mêle, une avalanche d'images qui me dérangent et me mettent mal à l'aise. Troublé, j'en discute avec un ami.
-Dit, je viens de commencer à regarder le film La montagne Sacré, tu connais?
-Non, c'est bien?
-Heu?! J'en sais rien.
C'était véritablement mon sentiment: je n'en savais rien. Je ne pouvais pas dire si je venais d’assister aux premières minutes du plus mauvais film de tous les temps où à quelque chose d'absolument fabuleux. Le premier avis finit tout de même par rapidement l'emporter "De la branlette, un truc d’intellectuel prétentieux! Je ne mange pas de ce pain moi!".
Quelques jours passèrent mais le film n'avait de cesse de tourner dans mon esprit. Je ne le savais pas encore mais en à peine vingt minutes, l’œuvre de Jodorowsky avait déjà commencé à brasser mes convictions. "Et s'il existait une autre manière d'aborder le cinéma? Une façon plus libre, plus folle d'imaginer une histoire? Suis-je moi même brider dans mon imaginaire? Est-ce la confrontation avec un esprit aussi débridé et fertile qui me perturbe tant?"
Il fallait que je réponde à ces questions ...
J'ai pris mon courage à deux mains et j'ai relancé le film. Avec un mélange de curiosité et d'appréhension, j’escaladais à nouveau cette montagne. Je n'avais aucune de mes prises habituelles, aucun de ces bons vieux codes du cinéma pour me rassurer. Ô ce n'était toujours pas une sinécure! Voir un vieil homme nu doté d'une forte poitrine qui allaite les héros, une femme faire l'amour à une montagne et des gens peindre avec leurs fesses, ça ne vous laisse pas indemne. Pourtant le film ne pouvait se résumer qu'à une succession d'images perturbantes et loufoques. Il y avait aussi de véritable moment de grâce, des plans vertigineux et des scènes teintées d'un ésotérisme quasi hypnotique. "We have mastered the diffcult part of the mountain. Now the way will be like a garden " disait le grand alchimiste joué par Jodorowsky. C'était mon ressenti alors que le film commençait à toucher à sa fin. L'ascension avait été fastidieuse mais l'effort en était amplement récompensé.
Il m'aura fallu trois visionnages pour arriver à bout de la montagne sacrée. Quand le générique de fin s'est lancé, je savais que j'avais gagné quelque chose, qu'une porte s'était ouverte en moi. L'effort en avait valu la peine, désormais j'avais plein de nouvelles idées en tête, je voulais me confronter à un nouveau genre de cinéma.
Je me suis précipité à la médiathèque à proximité. Il me fallait d'autres œuvres du même genre. "Parait que Jodorowsky fait dans la BD. L'incal? Les méta-barons? Ça à l'air pas mal tout ça! Puis il doit y avoir d'autres choses que du Jodorowsky? On m'a parlé du cinéma de Lynch? De celui de Tarkovski?"
Une nouvelle ascension commençait, une véritable quête qui allait ouvrir de nouvelles portes dans mon imaginaire ...