Un film authentiquement kantorowiczien – le seul à ma connaissance qui décrive avec un tel naturalisme cette dualité entre le corps mortel et le corps politique du roi. Rien que pour ça j’ai apprécié. Au deuxième visionnage cependant, car je me souviens maintenant m’être endormi la première fois. C’est un film qui ne plaira pas à grand monde, si ce n’est aux passionnés d’histoire et/ou de films contemplatifs.
On ne peut cependant qu’être séduit par la prestation de Jean-Pierre Léaud, qui apparaît inévitablement comme une performance-testament pour celui qui a commencé sa carrière tout jeune sous la direction de Truffaut. Il y a là l’une de ces translations subtiles entre l’acteur et le personnage qu’il incarne à l’écran, contribuant à sublimer un peu plus l’œuvre d’Albert Serra.
Et puis il y a ce décorum versaillais filmé à la seule lueur des bougies (il semblerait), ces costumes plus vrais que nature. Comment ne pas être conquis par une telle reconstitution ? L’impression de crédibilité qui se dégage de l’œuvre est stupéfiante, d’autant que les dialogues ne prennent pas la forme habituelle ampoulée que souhaitent souvent leur donner les cinéastes : là, c’est la spontanéité qui prime, au point de laisser les acteurs commettre des fautes qu’ils rattrapent juste derrière, ou de faire dire au roi des paroles inintelligibles (il y a même un Marseillais avec un accent typique du Midi de l’époque !).
Cette lente déchéance de l’enveloppe charnelle, rongée inexorablement par la terrible gangrène livre comme une lutte sourde avec la pompe royale, décidée à demeurer bien en place jusqu’au bout. Ce n’est pas le roi qui ne veut pas mourir, mais plutôt la mort qui se refuse à le prendre. Il y a peu de place laissée au symbolisme ou à l’interprétation dans le film : l’emphase est plutôt faite sur la physiologie du souverain, sa lente perte des repères intellectuels, lui qui travaillait tant, sa progressive et nécessaire inanition. Jusqu’au bout la fiction de l’intégrité physique et spirituelle est conservée, comme pour ne pas altérer l’image de ce règne interminable que l’on s’apprête déjà à mythifier.
L’ordonnancement parfait de la vie de Louis XIV s’achève dans l’étude de ses viscères : oui, tout est bien en place, dans ce corps royal qui n’est déjà plus que corps tout court ; la royauté elle, lui survit et continue, inaltérable.