Il y a UNE chose de trop : la voix-off. J'entends que notre protagoniste parle de son ressenti, mais l'image suffisait bien à elle-même les trois quarts du temps. Et l'autre quart, un peu plus de mise en scène comblait ce déficit, et on se passait de paroles inutiles. On pouvait pleinement plonger dans la servitude avec Diouana, en silence. Un silence aliéné et aliénant.
Il ne manquait que d'enlever cet élément pour faire de "La Noire de..." un petit chef d'oeuvre, indépendamment de son continent d'origine.
Le choix du noir et blanc est parfait, et contribue à renforcer ce monde où le paradigme des classes est aussi celui du paradigme des races : les blancs d'un côté, riches et à table, et la noire de l'autre, à dormir dans son placard et à manger à la cuisine quand le service est fini. Si tant est qu'il se finisse jamais, parce qu'il y a toujours du mafé ou un "bon café" à préparer. Et se laisser embrasser par un vieux dégueulasse qui embrasse sans demander, pour voir ce que ça fait d'embrasser une négresse.
Cette plongée dans la servitude volontaire - viens avec nous, tu seras en France, tu seras bien, tu auras de l'argent - qui ne laisse aucune porte de sortie, aucune chance de s'en tirer, comme un poisson qu'on ferre avec un asticot... et dire que c'était il y a seulement 60 ans ! Sans connaître le volume d'africains victimes d'une nouvelle traite des noirs - mais cette fois avec un simple voyage, beaucoup plus pratique - il y a aussi la dénonciation de cette pratique qu'on pensait finie avec l'abolition de l'esclavage. A croire que c'est plus fort que les occidentaux : il faut profiter des pauvres venus des pays du sud.
Réflexion sur l'identité, sur les aspirations, sur le concept de liberté... se trancher la gorge dans la baignoire de ses maîtres pour reprendre le contrôle de son destin, refuser que le masque traditionnel ne soit bêtement accroché au mur... la mort plutôt que la servitude, et aucune satisfaction à ce que les maîtres ne pillent l'héritage culturel pour décorer l'intérieur.
Et aussi mettre le riche face à ses démons : non, tes vingt milles francs CFA, la famille restée au pays n'en veut pas. Elle en aurait bien besoin, mais elle ne les prendra pas. Tu as du sang sur les mains à avoir traité une femme naïve comme un robot. Ce masque il te suivra jusqu'à chez toi, jusqu'à ta tombe. Tes bons sentiments et ton fric ne rachèteront jamais rien. Belle critique du néocolonial.