Ce qui frappe peut-être le plus à la vision de la Nouvelle Babylone, c'est l'indéfectible confiance que les réalisateurs du muet vouaient au cinématographe. S'emparant du mythe tragique de la Commune de Paris, Kozintsev (coté visuel) et Trauberg (côté scénaristique) construisent une symphonie d'images pour que l'exemple historique d'hier puisse à tout jamais survivre à l'oubli. On est au delà de la propagande, de plain pied dans la profession de foi.

Leur démarche est paradoxale, et donne au film une dimension esthétique impressionnante : construire du solide sur la base la plus évanescente qui soit, en faisant reposer un film muet sur le vecteur musical, au sens large du terme. La Commune comme danse macabre.
Ainsi, la première partie s'attache surtout à la folie des corps lancés dans un bal sans retenue. Les bourgeois sont à la fête, ils boivent, ils mangent, au son d'un orchestre endiablé qui leur cache le roulement des canons. La deuxième partie, qui suit le lent cortèges des ouvriers qui les mènera des barricades à la fosse commune, est une marche funèbre sans espoir. A chaque fois, les éléments narratifs sont passés au second plan, ce qui compte ce sont les corps en mouvement, les gestes désordonnés, les regards enfiévrés, les vies qui se croisent et ne se rencontrent pas, comme dans un quadrille mené par la Mort en personne.

Au bout du compte, le film agit sur les spectateurs comme ces mélodies qui une fois entendues nous hantent à jamais. On beau casser tous les instruments de musique, ou tuer le pianiste qui joue le temps des cerises, la musique, comme les révolutions, restent dans nos mémoires : les rêves ne meurent pas si facilement !
Chaiev
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Muets d'admiration

Créée

le 6 mai 2011

Critique lue 734 fois

20 j'aime

3 commentaires

Chaiev

Écrit par

Critique lue 734 fois

20
3

D'autres avis sur La Nouvelle Babylone

La Nouvelle Babylone
Artobal
10

Peine, "Capital" !

Le souffle de la révolution plane sur cet étonnant film de 1929 : pas la révolution passée, celle qui a renversé le pouvoir tsariste en 1917, mais celle à venir, puisque le film, par un habile coup...

le 17 oct. 2022

12 j'aime

8

La Nouvelle Babylone
Torpenn
7

Paris taillé en pièces, Versailles en robe de chambre...

Improbable projection à la mairie du onzième arrondissement de Paris, une salle des fêtes un peu miteuse, un projo tout simple, le DVD de chez Bach Film et un siège en bois histoire de compatir aux...

le 6 mai 2011

10 j'aime

67

La Nouvelle Babylone
Gizmo
7

Ultra rouge

Beaucoup plus humain qu'un Eisenstein, même si pas formellement aussi bluffant, le film montre en parallèle les communards et les bourgeois. Evidemment les communards sont les héros, objets de...

le 6 mai 2011

8 j'aime

12

Du même critique

Rashōmon
Chaiev
8

Mensonges d'une nuit d'été

Curieusement, ça n'a jamais été la coexistence de toutes ces versions différentes d'un même crime qui m'a toujours frappé dans Rashomon (finalement beaucoup moins troublante que les ambiguïtés des...

le 24 janv. 2011

287 j'aime

24

The Grand Budapest Hotel
Chaiev
10

Le coup de grâce

Si la vie était bien faite, Wes Anderson se ferait écraser demain par un bus. Ou bien recevrait sur le crâne une bûche tombée d’on ne sait où qui lui ferait perdre à la fois la mémoire et l’envie de...

le 27 févr. 2014

270 j'aime

36

Spring Breakers
Chaiev
5

Une saison en enfer

Est-ce par goût de la contradiction, Harmony, que tes films sont si discordants ? Ton dernier opus, comme d'habitude, grince de toute part. L'accord parfait ne t'intéresse pas, on dirait que tu...

le 9 mars 2013

244 j'aime

74