Ce qui frappe peut-être le plus à la vision de la Nouvelle Babylone, c'est l'indéfectible confiance que les réalisateurs du muet vouaient au cinématographe. S'emparant du mythe tragique de la Commune de Paris, Kozintsev (coté visuel) et Trauberg (côté scénaristique) construisent une symphonie d'images pour que l'exemple historique d'hier puisse à tout jamais survivre à l'oubli. On est au delà de la propagande, de plain pied dans la profession de foi.
Leur démarche est paradoxale, et donne au film une dimension esthétique impressionnante : construire du solide sur la base la plus évanescente qui soit, en faisant reposer un film muet sur le vecteur musical, au sens large du terme. La Commune comme danse macabre.
Ainsi, la première partie s'attache surtout à la folie des corps lancés dans un bal sans retenue. Les bourgeois sont à la fête, ils boivent, ils mangent, au son d'un orchestre endiablé qui leur cache le roulement des canons. La deuxième partie, qui suit le lent cortèges des ouvriers qui les mènera des barricades à la fosse commune, est une marche funèbre sans espoir. A chaque fois, les éléments narratifs sont passés au second plan, ce qui compte ce sont les corps en mouvement, les gestes désordonnés, les regards enfiévrés, les vies qui se croisent et ne se rencontrent pas, comme dans un quadrille mené par la Mort en personne.
Au bout du compte, le film agit sur les spectateurs comme ces mélodies qui une fois entendues nous hantent à jamais. On beau casser tous les instruments de musique, ou tuer le pianiste qui joue le temps des cerises, la musique, comme les révolutions, restent dans nos mémoires : les rêves ne meurent pas si facilement !