La lune est rouge
Quand la lune est rouge et que le chef des détenus de la prison de la MACA à Abidjan est menacé dans son autorité, il ne reste plus qu'à désigner un prisonnier pour raconter des histoires pendant...
le 2 févr. 2021
7 j'aime
2
Je ne connais pas le cinéma africain. Je ne connais pas ses réalisateurs, je ne connais pas ses acteurs et actrices, je ne connais pas son industrie, son histoire, je ne connais pas ses nuances et ses différences fondamentales selon le point de vue de quel pays d'Afrique on se place. Une grande responsabilité à cette observation incombe sans doute à un manque de curiosité de ma part, j'ai sûrement vis à vis de ce cinéma les mêmes idées reçues à surpasser qui m'ont longtemps tenues à l'écart du cinéma iranien, aridité, cultures trop éloignées. Si je prenais le temps de réfléchir à la question, je trouverais sûrement dans ma mémoire cinéphile des noms de cinéastes ou des titres dont j'ai au moins entendu parler par le prisme d'un festival international ou un exemple phare de réalisateur venu d'Afrique qui mène une carrière internationale remarquable, mais je ne connais pas le cinéma africain. Un peu plus le cinéma d'Afrique du nord, mais le cinéma d'Afrique noire, d'Afrique subsaharienne m'est globalement inédit.
C'est avec donc un appétit et une curiosité non feinte que je me lançais dans la découverte de ce film venu de Côte d'Ivoire. Au milieu de la jungle se trouve la MACA, prison parmi les plus peuplées du continent, où les détenus font la loi et où les gardiens sont réduits à l'accueil des nouveaux détenus et empêcher les évasions. Le caïd en place voit son autorité et sa légitimité remis en questions à cause de ses ennuis de santé et de son âge, les jeunes poussent pour qu'il abdique et leur ouvre la voie d'un nouveau règne dont ils seraient les maîtres. Le chef en difficulté décide de renouer avec un ancien rituel "le roman" qui consiste lors d'une nuit de lune rousse, à faire raconter à un prisonnier une histoire. Cette histoire et son narrateur auront durant cette nuit, une influence tant sur le destin de la prison, ses détenus, le chef que sur celui du désigné "roman".
Le premier élément qui mérite selon moi mention, tient dans l'optimisation du budget alloué au film. On peut sans peine imaginer que malgré les aides d'entités qui ne sont pas financées par vos impôts - n'écoutez pas les fragiles qui prétendent le contraire - comme le CNC, le film ne bénéficiait pas des moyens financiers d'un cinéma plus installé à l'international. Pourtant la réalisation pallie de façon admirable à cela, les moyens à disposition sont utilisés à bon escient. On a par exemple une photographie soignée, qui contraste ou plutôt augmente la qualité d'une image numérique qui bien souvent manque de grain et de caractère. Là, on a pensé les éclairages d'un point de vue technique, éclairer, mais aussi d'un point de vue artistique, donner à ressentir.
Dans le même ordre d'idée, à deux ou trois instants, le film s'évade de son décor carcéral pour une escapade onirique qui vient illustrer le conte qui nous est raconté en même temps qu'il l'est aux autres prisonniers, seulement comme ces séquences ont du coûter cher aux producteurs, on ne pouvait pas en mettre davantage. Philippe Lacôte fait alors le choix à la fois radical, poétique et diablement malin de faire mimer aux figurants qui composent l'auditoire du narrateur, les paroles déclamées par le jeune conteur.
En résulte une œuvre formellement maîtrisée, qui transpire l'envie de cinéma comme vecteur artistique d'émancipation et de création qui moi m'a transporté.
C'est un film de griot, autour de qui on fait cercle pour entendre ses chants nimbés des héritages du conte africain, ses sorciers vaudous, sa magie, ses peintures rituelles, qui ne souhaite pas s'occidentaliser à l'excès pour gagner des marchés, mais au contraire nous invite à pénétrer comme témoins, une culture riche, ancestrale, avec sa propre cosmogonie. S'abstenant par exemple des explications didactiques visant à informer le spectateur ignorant des spécificités culturelles ivoiriennes. Cela m'a personnellement beaucoup intéressé, comme terreau de réflexion et de découverte.
Le film souffre de quelques faiblesses, le jeu des acteurs et plus précisément leur diction sont très éloignés des standards auxquels nous sommes habitués par les écoles européennes et américaines et pourront peut-être vous sortir du film, mais souvenez vous des premières fois où vous avez découvert le cinéma japonais et ses acteurs tout en outrance héritée du théâtre nô, on s'y est habitué et c'est même devenu un élément critique qu'on souligne désormais dans les cercles cinéphiles.
Une réalisation qui sait optimiser ses moyens, un scénario précis et qui se tient, une lumière contrastée, des choix artistiques qui font sens et la participation presque muette mais profondément intense de Denis Lavant sont autant d'atouts et de qualités qui m'incitent à vous suggérer passionnément ce film.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Ma collection personnelle par ordre chronologique, Les meilleurs films de 2020 et MON ANNEE 2025 EN CINEMA, FILMS VUS POUR LA PREMIERE FOIS CETTE ANNEE;
Créée
hier
Critique lue 3 fois
1 j'aime
D'autres avis sur La Nuit des rois
Quand la lune est rouge et que le chef des détenus de la prison de la MACA à Abidjan est menacé dans son autorité, il ne reste plus qu'à désigner un prisonnier pour raconter des histoires pendant...
le 2 févr. 2021
7 j'aime
2
Cette production entre le Québec et la Côte d’ivoire a fait sensation dans beaucoup de festivals et a reçu les louanges de nombreuses critiques internationales. Alors lorsqu’on se retrouve dans la...
Par
le 17 mars 2021
3 j'aime
2
Ami lecteur, dégrafe ta ceinture, décroche tes bretelles et carre-toi profondément dans ton siège, tu vas bientôt, grâce à la puissance insensée de mon verbe, vivre une expérience inédite,...
Par
le 13 sept. 2021
2 j'aime
Du même critique
Rodrigo SOROGOYEN m'avait déjà fortement impressionné avec ses deux premiers longs métrages Que Dios nos perdone (2016) et El Reino (2017) et les échos que j'ai eu du précédent sorti avant celui-ci...
le 2 mai 2023
9 j'aime
2
Alors que jusqu'ici David LYNCH n'avait réalisé que quelques courts métrages expérimentaux et un premier long métrage Eraserhead (1976) qui le classaient parmi l'avant garde artistique et lui...
le 3 oct. 2022
9 j'aime
5
Retrouver la société de production de Mel BROOKS au générique de ce film n'est pas si étonnant quand on se souvient que le roi de la parodie américain avait déjà produit Elephant Man (1980).Un autre...
le 3 oct. 2022
7 j'aime
4