Ce film l’annonce dès son introduction : il sera bien ici question d’une affaire policière, mais d’une affaire non résolue.
Pas de mystère dévoilé en bout d’intrigue donc. Pas de coupable révélé non plus.
L’amateur de polar habitué à ses « ah mais je doutais bien que c’était lui » pourra dès lors s’en surprendre et y voir une entorse faite aux codes du genre, mais les arpenteurs du septième art de tout horizon et de tout âge ne manqueront pas de leur côté de faire le lien avec un illustre modèle sud-coréen qui, presque vingt ans plus tôt, avait déjà fait de même : je veux bien entendu parler ici du fameux Memories of Murder de Bong Joon-Ho.
En ce qui me concerne, sitôt cette annonce accomplie que la connexion entre les deux œuvres s’est opérée tout de suite et ne m’a dès lors plus jamais quitté l’esprit. Pourtant – et assez étonnamment – ce fantôme originaire du matin calme ne m’a pas forcément posé de problème, pas plus qu’il ne semble en avoir posé à Dominik Moll.
En même temps tout cela peut aussi s’expliquer car une fois qu’on a dit qu’il n’y aurait pas d’annonce de coupable à la fin d’un polar qu’au fond on n’a pas dit grand-chose. OK, pas de coupable à la fin, mais après tout n’est-ce pas le cas dans tous les autres genres cinématographiques ?
En fait, quand cette Nuit du 12 déclare qu’il n’y aura pas de coupable de révélé à la fin de son intrigue, elle ne fait que nous annoncer que le polar ne sera le seul genre dont on mobilisera ici les codes…
…Et n’était-ce pas au fond ce qu’avait déjà su faire vingt ans plus tôt le chef d’œuvre de Bong Joon-Ho en allant emprunter du côté de la comédie de mœurs et du thriller ?
C’est d’ailleurs pour moi tout l’attrait de ce Nuit du 12 : il parvient à remobiliser les thématiques posées par Memories of Murder mais tout en sachant judicieusement les transposer à la scène française. La condition policière est ici aussi placée au centre de l’équation quand l’affaire et ses acteurs ne sont finalement mobilisés pour l’essentiel que pour révéler leurs traumas et ceux de la société.
Or à ce petit jeu-là, force est de constater que Dominik Moll a su trouver son créneau et son ton. Loin de la pauvreté naturaliste du Petit lieutenant de Xavier Beauvois ou bien de la névrose anxiogène du Polisse de Maïwenn, le monde policier de Moll est plus posé, composé d’hommes simples, souvent usés, parfois taiseux, et sachant à chaque fois se montrer plus ou moins attachants.
Le choix de la Maurienne et de ses alentours n’est d’ailleurs clairement pas un hasard pour Moll. Quand on sait que l’affaire dont il s’est inspiré ici était initialement implantée à Versailles, il apparait évident que cette relocalisation loin de la capitale est un choix qui n’a rien d’anodin ; surtout qu’il rappelle celui déjà pris lors de son précédent long-métrage, j’ai nommé Seuls les bêtes. C’est qu’au cœur du rural profond Moll peut davantage y retrouver des gens plus enclins à incarner ce cinéma qui est le sien.
Dans le cinéma de Moll, les egos se taisent souvent ou sont moqués. La pudeur individuelle est régulièrement de mise et n’est brisée qu’au service de moments de camaraderie. Les êtres font éponge et on s’efforce de comprendre et de s’imprégner plutôt que de soliloquer et de s’imposer.
Comme d’habitude avec cet auteur, c’est toujours quand il parvient à mettre sa mise-en-scène et son écriture en adéquation avec ces principes-là qu’il parvient le mieux à capter mon attention.
J’aime ces personnages et ces lieux dont Moll parvient à capter la singularité sans nous amener à les juger. Et pour y arriver la sobriété reste encore la plus sure des alliées.
Moll évite de trop en faire. Il se montre précis dans le choix de ses cadres et ses mots mais tout en évitant le m’as-tu-vu.
Les moments ne sont d’ailleurs pas rares où il rappelle à la nécessité de surtout éviter la surenchère.
C’est notamment le cas lorsque s’impose aux deux policiers d’aller annoncer à la mère de la victime la mort de sa fille. Toute la tension de la scène ne repose pas ici sur la réaction forcément dramatique de la mère, mais plutôt sur la nécessité des deux policiers à savoir trouver les mots justes. Le bon équilibre…
…Et quand Yohan expliquera à Marceau qu’à un moment il a bugué dans son annonce parce qu’il avait vu une photo le faisant soudainement sentir au seuil de la mort, son collègue le corrigera alors dans l’instant en lui disant « T’es sûr que tu n’en fais pas un peu trop ? » …Ce à quoi Yohan répondra : « Oui tu as sûrement raison. »
Néanmoins – et quand bien même j’ai globalement trouvé mon compte dans cette Nuit du 12 – je me dois malgré tout de reconnaitre qu’elle ne m’a pas non plus pleinement enthousiasmé comme certains autres films du même auteur ont su le faire auparavant…
Et si c’est le cas, c’est justement parce qu’au niveau des intentions évoquées précédemment, la constance n’a pas toujours été de mise.
Déjà j’avoue regretter une rigueur assez inégale dans la mise-en-scène.
Par exemple autant je trouve le choix, l’idée et la manière d’amener le premier plan de ce film particulièrement pertinents et habiles – notamment pour ce qui est de la musique, de la lumière et de la symbolique de cette piste qui tourne sur elle-même – qu’en parallèle je regrette grandement ces vibrations du cadre qui ne peuvent que sauter aux yeux de tout spectateur découvrant ce film sur grand écran.
Qu’on n’ait pas su trouver une solution à ça alors qu’on fait la scène sur une piste de vélodrome, j’avoue que ça me sidère pas mal.
Idem pour la scène du crime en début de film : entre la sortie de la victime et son début de marche au milieu du néant, il y avait clairement autre chose à faire que cet enchainement de plans fixes un peu tristounes.
Pour le coup le petit travelling à la dolly était clairement insuffisant et je pense qu’un plan-séquence avec un mouvement régulier et constant aurait été bien plus efficace et cela jusqu’au moment précis du meurtre.
Je sais que pour certains cela pourra paraître comme étant du chipotage de ma part, mais il y a à côté de tout ça trop de choix qui font mouche pour que je ne me sente pas frustré face à ces petits moments d’inconstance.
Et le problème c’est que cette inconstance, on en retrouve aussi dans l’écriture.
Comme dit plus haut, sitôt choisit-on de faire un polar sans coupable que l’intérêt et le propos se retrouvent dès lors forcément ailleurs. Or à ce sujet, Dominik Moll et son co-scénariste Gilles Marchand avaient manifestement quelques points de leur démarche qu’ils entendaient expliciter sans aucune forme d’ambivalence.
Ainsi, à quelques reprises – et surtout sur la fin – il a donc fallu que ce film sorte de sa réserve afin d’imposer sa grille de lecture au burin. Et comme un aveu de francité, il a fallu que ça se fasse sur une question morale bien d’actualité histoire d’afficher patte blanche et espérer sûrement en retour le plebiscite de la presse comme des réseaux.
Et sur ce point qu’on s’entende bien : ce n’est pas le fond du propos qui me dérange ici mais bien la balourdise avec laquelle celui-ci est stabyloté. En se rabaissant – même brièvement – à ce type de pratiques, cette Nuit du 12 a participé à abimer tout ce qu’elle avait pourtant entrepris de construire : un récit ambigu sans coupable désigné, une intrigue faite de questionnement plutôt que de jugement, et surtout une exploration sociale plutôt qu’une condamnation basique au couperet…
Voilà le genre de petit pêché d’orgueil qui rappelle au spectateur qu’il n’est pas en train d’explorer un univers mais plutôt qu’il est en train de suivre une démonstration et c'est bien dommage.
Dommage donc que, sur ce point, cette Nuit du 12 n’ait pas su trouver au sommet de son col de la Croix de Fer la fraicheur de cet air épuré qu’on peut respirer en roulant vers les rochers d’Ulsan.
Pour le coup un peu moins de vieil esprit grégaire parisien et un peu plus de mentalité coréenne – ou de terroir savoyard – aurait permis à ce film de perdre en scories et surement gagner en force et en densité.
Malgré tout, l’un dans l’autre, je ne vais pas non plus bouder mon plaisir.
Même si à mes yeux cette affaire n’a pas été convenablement menée jusqu’à son terme, elle a su néanmoins témoigner – même sur moi – d’une réelle efficacité.
Et quand bien même avait-elle en elle bien mieux en germe, qu’il serait bien ingrat de ma part que de ne pas vous la conseiller…