La Party
7.3
La Party

Film de Blake Edwards (1968)

Peter Sellers a le don de jouer avec son corps, avec une posture mouvante et des expressions corporelles qui en font un véritable pantin créateur de rire. Admirable dans son tripe rôle du chef d’œuvre Docteur Folamour de Stanley Kubrick, hilarant dans le film culte La panthère rose, Sellers livre ici un de ses plus grands rôles, dans la peau d’un figurant indien multipliant les situations burlesques, les rencontres improbables et les catastrophes comiques. 
Blake Edwards signe donc un chef d’œuvre de la comédie, jouant sur les divers quiproquos, la maladresse de son héros, sur les trais physiques de ses différents personnages, le tout servi par d’excellents comédiens dans une farce monumentale. Ce film est une véritable décadence, une chute progressive dans l’absurde contenu en chaque homme. C’est une descente en enfer, dans l’enfer de la bêtise humaine et des relations entretenues entre eux. Avec ce film on assiste à un vrai naufrage. Le décor tombe petit à petit, les acteurs se dénudent au fur et à mesure, et au final l’eau inonde le lieu, la mousse envahit l’écran, ensevelit toute l’image. On visualise le groupe de musique continuant de jouer, en étant lentement recouvert de cette mousse aveuglante et comme meurtrière, rappelant le groupe du Titanic jouant jusqu’au bout, malgré la bêtise triomphante.
Le film ce construit sur le héros farfelu, et pourtant inconscient, interprété par Sellers. Par erreur il est invité à une soirée chiquée chez un riche producteur hollywoodien qui l’a viré plus tôt de l’un de ses tournages. Et cette âme perdue au milieu d’un monde qui lui est inconnu, d’un monde sans cœur, uniquement fait de relations superficielles et par intérêt, cet être vague et divague, de pièce en pièce, d’invité en invité, provocant à chaque fois par maladresse un nouveau gag. Le comique repose donc sur diverses situations (comme le tableau de commande qui enlève des murs, ou le sol plongeant des invités dans l’eau), des dialogues fait d’aucune paroles censées (comme l’échange avec le ridicule acteur de western, à l’image d’un John Wayne trop imposant), sur du non-dit et des répliques inaudibles (tout au long du repas où aucune conversation ne se détache des autres du point de vue sonore) ; et le comique est également porté par les différents petits seconds rôles, qui se croisent, se rencontrent, créant souvent une confusion et une panique débordante d’hilarité. Il y a le serveur alcoolique, reprenant sans cesse à boire et à chaque fois d’autant plus soul aggravant sa posture ; la femme du colonel, toujours plus paniquée, et s’évanouissant à maintes reprises, pour toujours finir dans l’eau ; le réalisateur complexé, toujours inquiété par l’image qu’il renvoie, imbu de lui-même et vaniteux ; le cuisinier colérique qui ne peut s’exprimer que par des mains qui étranglent, qui expriment sa rage sur son employé martyrisé. La liste de ses êtres, en apparence extraordinaires car trop caricaturés et cinématographiques, peut se continuer encore et ne fait que renvoyer à une critique de ce milieu snobe, que Blake Edwards montre du doigt. Ce film présente des gens qui parlent sans s’écouter, qui se regardent mais sont aveugles pour les autres, ne connaissant que leurs intérêts personnels. Ici il n’y que de faux rapports humains. Des rires mais pas de sympathie, des pleurs mais pas d’empathie, du sexe mais pas d’amour : Peter Sellers, seul marginal mais vrai humain au milieu de cette masse sans âme. Tandis qu’en apparence tout parait clin, propre et coloré, peu à peu il va révéler la vérité au grand jour.
C’est une véritable frénésie démentielle qui se crée. Les gags au premier degré se multiplient et poussent à l’extrême le ridicule de certaines situations. On revoit Sellers derrière la porte de la cuisine lors du repas sur une chaise trop basse, on se souvient du poulet qui saute et s’accroche sur la coiffure grotesque de l’une des invités, et on rit encore des allers-retours difficiles et aléatoires du pauvre serveur complètement ivre. Les rapports entre les personnages, tous plus absurdes les uns que les autres, se dégradent. Ils sont de plus en plus énervés, ivres, évanouis, exaltés, déchaînés, allant jusqu’à une agitation et un désordre épouvantable. Même le décor tout d’abord esthétique et estimable, fait pour la haute société dans laquelle on se situe, finit par se décomposer totalement et devient le lieu d’une orgie fellinienne et décadente. Les murs se détachent, la cheminée prend feu, les toilettes coulent sans fin tout comme le papier qui ne s’arrêtent jamais de rouler, à l’image d’une société qui ne se pose pas, qui en redemande toujours plus jusqu’à l’excès et le gaspillage. Et finalement rien ici ne s’arrête. Tout continu et envahit l’image. L’insatisfaction, l’égocentrisme et la cupidité des personnages prend sa forme la plus brute. Il a fallu qu’un pauvre être maladroit et innocent révèle leur bêtise par mégarde, toujours voulant bien faire.
C’est dans une ambiance partouzarde que le film se conclut, avec l’évocation de la génération hippie et révolutionnaire dans laquelle nous sommes, mais jamais pour suivre leur cause, au contraire là encore pour se moquer de la dégénérescence dans laquelle l’homme sombre, avec un humour percutant et brillant.

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le 20 déc. 2015

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r0berto

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