Hollywood n’est pas encore mort. On critique si souvent l’industrie des rêves pour la médiocrité de ses scénarios et la réutilisation des formules les plus éculées que l’on oublie parfois sa capacité à créer de grands divertissements universels. La Planète des singes : suprématie tient ainsi du parfait contre-exemple à la crise d’imagination que traverse le cinéma américain. Ce tour de force est en effet le troisième épisode d’une saga « rebootée» il y a six ans de cela. Une saga culte de cinq films, extrapolation du génial roman d’anticipation du Français Pierre Boulle que Tim Burton lui-même avait tenté de ressusciter au début des années 2000...
Pour cet ultime volet, le réalisateur Matt Reeves, qui avait spectaculairement boosté le second épisode, L’affrontement, a joui du rêve de plus d’un cinéaste à Hollywood, celui d’une liberté absolue pour mener la trilogie à son terme. Twentieth Century Fox confiant après la croissance des recettes d’un second volet tortueux qui a visiblement passionné les foules, a donc laissé le réalisateur du prometteur Cloverfield mettre en boîte une conclusion de 2h20, soit 35 minutes de plus que le premier film et le plus long épisode de la saga, si l’on prend en compte les films originaux et le remake de Tim Burton. Au-delà de ça, c’est bel et bien l’économie de dialogue qui rend l’exercice surprenant. L’approche est digne d’un cinéma d’auteur exigeant qui ne transige pas avec les intentions. Reeves élimine les formules du blockbuster vain pour imposer sa vision propre d’une œuvre sombre et farouchement violente...
Jamais l’univers de cette nouvelle trilogie n’avait été aussi maîtrisé et visuellement impressionnant. Des contreforts enneigés d’une base abandonnée, aux ruines d’un village sans oublier une nature toujours plus puissante et sauvage, le monde qui se déploie sous nos yeux n’est plus tout à fait le nôtre et dévoile progressivement la dimension légendaire vers laquelle il s’achemine. En témoigne un climax surpuissant, qui nous offre enfin la confrontation totale que nous annonçait la série depuis son épisode initial. Pendant près d’une demi-heure, toutes les tensions accumulées au cours des trois longs-métrages se voient libérées dans une séquence ultra-spectaculaire, dont la technicité est tout bonnement hallucinante, notamment à l’heure où tant de blockbusters renoncent à l’idée de finaliser leurs effets spéciaux...
Dans ses ambitions narratives et formelles, Suprématie est totalement indémodable. D’une part, il s’agit du récit de tous les récits ; le film fait constamment référence aux pires périodes de l’humanité qu’il s’agisse de l’esclavage, du Vietnam ou du massacre des Amérindiens ; de l’autre, le studio d’effets spéciaux Weta est arrivé à un tel niveau d'excellence dans la performance capture que plus rien ne contrarie notre suspension d’incrédulité – et surtout pas les performances des interprètes des singes, Andy Serkis en tête. Ce monde n’est plus de la science-fiction, c’est celui de demain. Alors même qu’il regarde les Hommes courir à leur perte avec autant de désolation que de soulagement, le film prend parfois le parti du rire comme politesse du désespoir. Un rire tendre, rusé, intelligent. Le signe d’une écriture aussi élégante que puissante pour ce qui sera probablement l'un des meilleurs blockbusters de l’année !!!