(SPOILERS)
L’histoire est plutôt simple :
Sur la planète Ygam vivent les Draags, des humanoïdes très érudits, tournés vers la méditation et qui mesurent douze mètres de haut.
Les enfants draags gardent comme animaux de compagnie des Oms (des Hommes quoi), ramenés de Terra (bon vous avez compris). Peu de Draags envisagent les Oms comme des créatures intelligentes, même s’ils sont doués d'une faculté d’adaptation. Certains Draags les considèrent comme nuisibles : ceux qui sont à l’état sauvage prolifèrent dans les parcs et volent des biens draags.
Terr est un bébé dont la mère, une Om sauvage, meurt aux mains d’enfants Draags qui s'amusent. Tiwa, la fille de Sinh, est attendrie par le bébé et le recueille.
Terr grandit, il devient un adolescent, alors que Tiwa garde le même âge : le développement « temporel » des Draags est plus lent que celui des Oms. Tiwa utilise un serre-tête qui permet d'apprendre toutes sortes de connaissances. Terr l’utilise aussi et apprend ainsi l'écriture des Draags.
Un jour, il s’échappe prenant avec lui le serre-tête. Il est recueilli par une tribu d’Oms dans l'arbre d'un parc Draag abandonné.
Il se fait accepter par la tribu et le serre-tête est utilisé et permet aux Oms d’apprendre divers connaissances. Un jour, le parc est « désomisé » (un génocide quoi). Une partie des Oms arrive à s'enfuir mais deux Draags les aperçoivent et se mettent à en écraser certains. Les Oms réagissent, tuent l’un des Draags et l'autre s'enfuit. Les oms mettent alors le cap sur un entrepôt abandonné.
Quinze ans passent, les oms construisent des fusées, grâce à leur connaissances acquises. Ils arrivent sur une autre planète utilisée par les Draags pour procréer avec d’autres espèces de la galaxie, via la méditation, et ainsi garder en vitalité. Les Oms empêchent ces procréations et mettent en danger la civilisation Draag. Une paix est signée entre les Draags et les Oms : ces derniers créent un satellite artificiel autour d’Ygam et s'installent à sa surface.
La critique-analyse :
La Planète Sauvage est un film d’animation de science-fiction français de 1973. Déjà, ça claque. Le scénario adapte librement le livre Oms en série de Stefan Wul. Les dessins de Roland Topor, qui travaille avec Laloux depuis quelques années, sont animés avec la technique du papier découpé, donnant un effet presque mécanique, mais bien vivants aux êtres et formes de cet univers.
Un univers qui est TRES riche ! Ne serait-ce que la civilisation draag, puissance supérieure aux Hommes de par leur savoir, leur taille physique, leur organisation. Ils exercent aussi la méditation : ces scènes sont d’ailleurs très « planantes » et légères, en opposition avec leur brutalité contre les Oms. Aussi, la planète Ygam. Un désert avec une faune et une flore qui s’inspire du mouvement surréaliste, notamment Dali. La richesse est d’autant plus incroyable que ces éléments ne sont pas forcément expliqués et laisse le spectateur admirer les différentes espèces, qui pour certaines, nécessiteraient bien un coup de Pokédex. J’aime ces films dont l’univers est si riche qu’il déborde l’écran. Comme si ce qu’on voyait, aussi incroyable que ça puisse être, n’était qu’une infime parcelle du monde fou d’Ygam, on peut sûrement en apprendre plus avec le livre.
Un monde beau oui, mais angoissant. Dès la première scène, on peut voir la mère de Terr se faire tuer par des enfants qui jouent. Nos fragiles carcasses peuvent être malmenées par d’autres êtres. Etant le dominant de la chaine alimentaire, on a pas l’habitude de cette sensation d’infériorité. On expérimente le statut de fourmi. On est vulnérable, à la merci de tous les maux, MAIS très courageux et solidaires.
Plutôt que de mettre l’Homme au centre de tout, le film préfère montrer sa vulnérabilité face au monde qui l’entoure, mais qui, grâce à son intelligence, son courage et la solidarité qu’il lie avec les autres, est capable de beaucoup de choses. Nous ne sommes que des petites espèces vulnérables physiquement et n’avons qu’une longévité moindre : les Draags vivent plus longtemps que les humains (une semaine Draag équivaut à une année humaine) et le film très court, avec des ellipses très marquées (de 15 ans entre l’installation des Oms dans leur nouvelle base et le lancement de fusées), fait bien rendre compte du peu de longévité de la vie humaine. La force du film vient dans le retournement de situation de Terr, qui, d’animal de luxe, devient le chef de la rébellion om et libère ses congénères. Qui aurait cru que d’aussi faibles animaux pouvaient ébranler la civilisation draag, toute puissance et omnisciente ? C’est aussi notamment à la connaissance procurée par ses serre-tête, feu sacré volé aux êtres supérieurs, que les Hommes pourront comprendre le monde qui les entoure et vaincre toutes les difficultés. Son message humaniste a même été taxé de propagandiste, à la solde du gouvernement tchécoslovaque, où l’équipe de Laloux a tourné, en plein Printemps de Prague.
Pourtant, tout n’est pas non plus tout beau chez les Oms. Certains se méfieront de la connaissance Draag. Ce n’est que lorsqu’ils se feront attaqués qu’ils comprendront que Terr avait raison et qu’il faut se soulever contre les Draags, grâce à leur pouvoir.
Ce qui est aussi très intéressant, c’est qu’on pourrait facilement comparer les Draags avec nous-même, actuellement, sur notre planète Terre. Ils sont omnipotents sur les êtres et les choses, jouissent d’une toute puissance qui leur permet d’éradiquer des êtres, même humains, qu’ils considèrent inférieurs et dangereux. La toute connaissance n’influe pas sur la morale. Le parallèle avec le génocide de masse (notamment des juifs lors de la Seconde Guerre Mondiale) est d’autant plus frappant lors de la désomisation (une scène très violente, où les Draags utilisent des machines qui « gazent » les oms).
Le scénario du film, par rapport au livre dont il est l’adaptation, a aussi fait des rajouts, notamment dans son dénouement. La méditation des Draags, dans le film, permet de procréer avec d’autres êtres d’autres galaxies et ainsi faire perdurer la vitalité des Draags. Les hommes utilisent aussi des fusées pour aller sur le satellite, alors que dans le livre ils utilisent des bateaux. Je n’ai pas lu le livre, pas de raison donc d’être un puriste, mais c’est vrai que l’issue et l’explication de la méditation reste peut-être un peu obscur, j’aurais voulu en savoir plus.
La dernière image est aussi très forte. On voit un jeune Draag caresser un animal de compagnie, qui, après le traité de paix, n’est plus un Om, mais un espèce de lézard vert. Le Draag regarde vers nous, on sent comme une rancœur. Cela annonce une paix qui ne tient peut-être qu’à un fil.
Autre point au combien important, la musique ! On est en 1973 (même si, techniquement, la production a commencé en 1967), et la musique électronique et le rock progressif ainsi que le funk naissent. Alain Goraguer donne une note à la fois sinistre mais envoutante, avec des influences très diverses. Je ne suis pas expert en musique, les extraits parlent mieux que moi. Ne serait-ce que ce morceau, pour un aperçu sonore :
https://www.youtube.com/watch?v=fCfp2qE9THw
Un film qui m’a mis sur le cul, donc, et m’a redonné goût à la science-fiction. La SF ne met pas seulement l’Homme face à un univers inconnu qu’il découvre mais aussi face à lui-même, à ses peurs, ses désirs, son courage et son intelligence. La simplicité de l’intrigue n’en est pas moins forte et sensationnelle. La complexité de l’univers très riche et créatif nous donne envie de nous plonger dans le livre dont il est l’adaptation. Le film détonne, à l’époque, par sa forme de « dessin animé pour adulte ». Je mets des guillemets parce que Laloux dira lui-même que ses meilleurs spectateurs, bien que les films aient des thèmes adultes, sont les enfants.
Laloux, dans un entretien, a affirmé d’ailleurs une chose très intelligente sur le dessin animé : c’est bien le dessin animé qui EST l’essence même du cinéma. Les acteurs dans les films de prises de vues réelles existaient déjà avant le 7ème art. Le cinéma en prise de vue réelle ne serait que de la photographie en mouvement, alors que le dessin animé, lui, est un produit virtuel crée exclusivement par le cinéma. A « méditer » donc !