Quand un personnage de fiction me parle de la guerre mondiale, je suppose qu’il me parle de la première, qu’il me parle d’une époque où on envisageait pas encore que l’horreur se reproduise en cinq fois pire. Ensuite, comme il s’agit de pauvres gens, j’ai immédiatement eu une lecture de classe quand on nous parle des Sans-cœurs. Je m’imaginais une jet-set se déplaçant en train de luxe et profitant de la guerre quand nos personnages crèvent de faim. On nous parle de dieux du train et de la forêt, j’imaginais les Sans-cœurs simplement comme tueurs de dieux (au pluriel et sans majuscule). Cette ambiance me rappelait celle du Rapport de Brodeck : un lieu et une époque incertaine, des gens plutôt miséreux auquels la vie ne fait pas de cadeaux, et un crime collectif dont la nature n’est pas claire. Puis on nous montre une enfant contente de vivre, et on nous montre la difficulté de trouver du lait ; l’espoir a toujours du mal à se faire sa place.
Mais non, j’étais à côté de la plaque. C’est la deuxième guerre mondiale. En Pologne. Près d’un centre d’extermination. L’histoire familiale troublée s’efface devant l’horreur de la Shoah, devant tous ces gens dont on a volé l’avenir. Je me sens toujours mal à l’aise quand on aborde ce sujet, comme si c’est difficile d’être légitime pour en parler mais aussi juste pour le décrire sans pathos. Mais ça fait toujours mal, bien sûr ; pas tant les trains, les soldats, les piles de morts et les corps squelettiques, que ses avenirs tués : la scène du père qui fait peur à sa fille vers la fin est beaucoup plus saisissante que tout le reste.
Note pondérée : 8,6.