"Bubber" Reeves s’échappe du pénitencier où il exécutait sa peine depuis déjà deux ans. L’évasion tourne mal lorsque son compagnon d’infortune tue froidement le conducteur d’une voiture qui s’était arrêtée avant de prendre la fuite à tombeaux ouverts. Bubber se retrouve seul, à pied, et avec un cadavre sur les bras.
En ville, c’est l’effervescence. Le magnat du pétrole et banquier Val Rogers fête ses 60 ans, et organise une soirée où les invités sont triés sur le volet. Autre figure incontournable de la ville, le shérif Calder, qui ne peut empêcher la nouvelle de l’évasion de Bubber de se répandre. Dans ce microcosme où tout le monde se connaît, nombreux sont les habitants que cette information trouble.
Le soir venu, une ambiance festive saisit la ville, qui célèbre la fin de la semaine. Si les nantis profitent des largesses de Val Rogers et de sa réception huppée, dans la banlieue pavillonnaire, l’entreprenante Emily Stewart organise sa propre soirée. Les jeunes ne sont pas en reste, l’alcool coule à flots et la musique est forte. Indifférent à ce tapage, le shérif patrouille les rues, et sent bien que la nuit sera longue.
Avec « The Chase », réalisé en 1966, Arthur Penn dépeint le paysage extrêmement sombre d’une petite ville du Texas. L’accent est mis sur l’extraordinaire médiocrité des classes moyennes : profondément stupides, ces masses haineuses et décadentes passent le plus clair de leur temps à s’enivrer, à baiser et à jouer du pistolet. Le week-end venu, l’on couche avec la femme de son voisin, l’on chasse les noirs dans la rue, et l’on refait la tournée des bars. Violents et frustres, ces individus méprisent l’autorité, jalousent les riches et leurs protégés, et se prêtent allègrement aux pires bassesses pour flatter leurs plus bas instincts. C’est un portrait au vitriol d’une sorte de petite bourgeoisie rustre, encline à la plus épouvantable sauvagerie, chez qui il n’y a rien à racheter.
Mais Arthur Penn n’épargne personne, et les nantis s’en tirent à peine mieux. Le magnat Val Rogers, pourtant déjà richissime, est d’une cupidité sans limite. Dans sa quête éperdue de l’enrichissement, il n’hésite pas à pousser les habitants et fermiers, à bout, à vendre leurs terrains. Aveuglé par cet objectif vain et stérile, il s’aliène finalement le seul individu qui compte à ses yeux : son propre fils.
Le film, réalisé dans les années 60, en profite pour aborder plusieurs thématiques d’actualité : la libération sexuelle, la discrimination raciale, la corruption, et les "vigilantes", cette forme de ‘justice’ populaire où les citoyens s'occupent eux-mêmes des "criminels". Pas un des personnages n’échappe à ces travers qui sont vertement critiqués par Penn : des individus qui trompent ouvertement leurs conjoints à cette foule ivre de violence, prête à lyncher son bouc émissaire en passant par un racisme odieux et ordinaire.
Seuls rayons de lumière éclairant la noirceur absolue de l’ensemble, une poignée de personnages qui tentent tant bien que mal de conserver un semblant de dignité et de droiture. Le shérif, que l’on rêve de voir péter les plombs tant ses vis-à-vis sont détestables, son épouse, loyale et courageuse, et, dans une moindre mesure l'héritier et sa maîtresse.
Avec « The Chase », Arthur Penn signe un film incroyablement sombre et pessimiste, qui, sous forme de thriller policier, livre un portrait acide d’une Amérique rurale haïssable. D’une très grande violence, le film choque, dérange, prend aux tripes. Parfaitement interprété, implacablement filmé et monté, « The Chase » est une œuvre magistrale, qui va jusqu’à nier l’espoir et l’optimisme, lorsque ses rares figures positives disparaissent et que l'on fait ce constat glaçant et désabusé d’une jeunesse viciée qui semble aussi pourrie que la génération d’avant.