« Personne ne devrait avoir le droit de filmer Monument Valley après John Ford. »
Je ne sais plus qui a lâché ça, mais je suis carrément d'accord.
« La Prisonnière du Désert » est sans aucun doute le Western que j'ai vu le plus de fois. La faute à mon vieux qui admirait tellement John Wayne, surtout dans ce film, que je me suis toujours demandé si c'était pas une manière détournée de faire une sorte de coming-out .
Et à chaque fois, le voyage est intense.
Comment un fils d'immigrés irlandais, borgne de surcroît, a-t-il su capturer, peindre l'Amérique et surtout son Ouest comme personne avant lui ? Et personne après.
Ce don sidérant qu'il avait pour t'envoyer de la beauté pure dans les yeux, avec économie pourtant, en grand angle, sans en rajouter. Sans oublier l'être humain, ces hommes et ces femmes qu'il aime tellement qu'il en parle si bien en faisant montre d'une maîtrise sans faille dans la direction d'acteurs, sans artifices. En plans larges.
Cette faculté qu'il avait pour te convaincre que tu te trouvais face à l'Ouest véritable, celui de la poussière rouge, celui des espaces tellement grands qu'il te faut des années pour faire le tour du propriétaire.
Il livre ici un western différent, flamboyant mais tellement sombre. Comme si les images, plus belles que dans un rêve devaient forcément être contrebalancées par un nuage noir et menaçant, par un cyclone prêt à se déchaîner sur tout ce qui dépasse.
Le Duke est cette menace, lui qui aura fait ses armes sous son aile, grandissant sous l’œil unique du Maître, et il est bluffant.
Il incarne cet antihéros magnifique qui ne lâche rien, t’entraînant avec lui dans sa quête et que tu suis dans la crainte. Un diable qui ne se rend pas, qui ne baisse pas les yeux. Grande gueule, courageux, orgueilleux, héroïque, tenace, obtus, colérique, raciste et violent.
On dirait que Wayne est né pour être Ethan. Qui d'autre pour être ce monument, cette montagne?
Il faut voir le feu de la haine, du mépris, qui irradie son regard, dans un des rares mouvements de caméra que s'autorise Ford. Il le faut ! Car c'est voir l'Enfer, c'est basculer dans son esprit plein de fièvre, tourmenté et qui exhale le désespoir. C'est être foudroyé.
Il faut le voir au Mexique aussi, avec son grand chapeau de paille. Toujours crédible malgré la costumière qui s'amuse.
Et ce plan final, vieux. Quand il part, enfin délesté de ce poids, arrivé au bout de sa mission.
Comme si enfin la vie pouvait reprendre son cours. Recommencer.
À moins qu'au détour d'un cactus, à l'ombre bienveillante d'un gros caillou, il ne se pose, pour respirer enfin et se reposer. Un peu.
Et qu'il s'endorme pour l'éternité.