Tsai Ming-liang s'est inspiré pour La Rivière d'une mésaventure qui est réellement arrivée à son acteur fétiche, Lee Kang-sheng, avant de tourner dans Vive l'amour (1994). Neuf mois durant, le pauvre homme a été pris d'une douleur apparemment épouvantable aux cervicales qui l'avait momentanément handicapé. Signe encore une fois de la grande proximité (confusion ?) qui entoure l'acteur et le personnage qu'il incarne devant la caméra du cinéaste taïwanais.
La Rivière est considéré par beaucoup comme le meilleur film de Tsai Ming-liang, en raison notamment de sa mise en scène, extrêmement soignée, et de ses non-dits permanents qui laissent une très grande liberté d'interprétation. C'est vrai que formellement le film est impeccable, et les plans-séquences, toujours axés sur le décor bétonné offert par Taipei, ont de quoi marquer par leur millimétrage. Cependant j'ai trouvé l'esthétisme dans celui-là un peu moins présent. Certes les plans sont rigoureux, la caméra dévoile de larges perspectives et le cinéaste prend son temps pour évoquer chez le spectateur des sentiments souvent contraires ; néanmoins il manque cette sensibilité qui imbibait les deux précédents films et que les nombreux clairs-obscurs ne viennent que partiellement combler.
L'eau, thème favori de Tsai, tient dans le film une place essentielle et est probablement celle qui offre la plus riche palette interprétative : polluée, porteuse de mort (même fictive), de malédiction, elle est aussi comme toujours chez le cinéaste régénératrice, actrice du drame sur lequel se construit le récit. Le mystère, autre composante majeure de son cinéma, n'est pas non plus en reste puisqu'à plusieurs reprises les personnages sont confrontés à des problèmes insolubles qui les mettent en face de leur propre solitude : la fuite d'eau qui provient de cet appartement à la porte close ; le mal qui ne parvient à être guéri ni par la médecine traditionnelle, ni par la médecine dite occidentale, ni par la religion... Un chaos silencieux se forme donc calmement, presque silencieusement sous nos yeux : l'eau sourd le long des murs, goutte du haut du plafond, comme si la névrose refoulée s'apprêtait bientôt à surgir subitement ; et ce sera le cas, de la plus impie des manières, à la toute fin du film : acte final de cette tragédie contemporaine sur cette maladie de notre temps qu'est l'incapacité à communiquer, à faire lien et à faire sens.
Une idée dont La Rivière traite bien, mais peut-être de manière trop obscure et tragique pour parvenir à réellement me toucher. Il manque ici cette dose de légèreté, d'espoir que Tsai a su faire poindre dans tous ses autres films pour les rendre vraiment sublimes.