Parti de rien,Tom Dunson,un dur à cuire,a créé un immense élevage de bovins au Texas.Mais les affaires vont mal,la région s'est appauvrie et il ne parvient plus à y vendre ses bêtes.Il décide alors d'emmener tout son bétail jusqu'au Missouri,où il y a de la demande.L'affaire s'annonce toutefois compliquée car il s'agit d'un troupeau énorme de dix mille têtes pas facile à contrôler,que le voyage est long,des centaines de kilomètres à parcourir en plusieurs mois dans des conditions météo variables,qu'il va falloir gérer les dizaines d'hommes qu'il emploie et qu'il faut s'attendre à des attaques d'indiens et de voleurs.De fait les conditions de vie au sein de l'expédition se détériorent au fil du temps et l'autoritarisme brutal du patron occasionne de plus en plus de tension entre ses cow-boys et lui.Howard Hawks,qui produit et réalise le film,signe là son premier western et sa première collaboration avec John Wayne.C'est une vraie dream team qui est à l'oeuvre,le scénario étant dû à Borden Chase,qui adapte ici un de ses romans et qui est un grand spécialiste du genre ayant beaucoup écrit pour Anthony Mann,et Charles Schnee,auteur des scripts de plusieurs Minnelli.Russell Harlan offre une magnifique photo noir et blanc jouant avec dextérité des changements de lumière tandis que le grand Dimitri Tiomkin a composé une superbe musique.On retrouve en outre au montage le complice habituel de Hawks Christian Nyby,qui réalisera trois ans plus tard "La chose d'un autre monde",première version de "The thing" que produira Hawks.La mise en scène de ce dernier est grandiose,multipliant les angles de vues et les formats de plans de manière à valoriser au maximum les grands espaces désertiques de l'Arizona et du Mexique où a eu lieu le tournage.Les séquences s'enchaînent efficacement et subliment la dimension épique du récit,avec des fulgurances notables comme cette caméra subjective restituant de l'intérieur d'un chariot la traversée de la Red River.Mais le plus époustouflant est la gestion de cet immense troupeau de boeufs,garantie sans effets numériques,avec en point d'orgue l'emballement des animaux fuyant à travers la plaine à toute allure,les cavaliers se mêlant à eux pour tenter de les canaliser et de les stopper.Au-delà des prouesses techniques,on a affaire à une histoire psychologique complexe et tendue qui brasse de nombreux personnages bien caractérisés,même si l'intrigue principale met en exergue la relation compliquée entre Dunson et son adjoint Matthew qui est quasiment son fils adoptif.L'intense fatigue du périple et les divergences concernant la gestion des hommes vont éprouver leur entente pour aboutir à la trahison du jeune homme et à la vendetta de l'ancien.Ce qui se joue en ce 19e Siècle finissant est l'arrivée d'un nouveau monde,matérialisé par le développement du chemin de fer,et son télescopage avec celui d'avant,Tom et Matthew représentant ces deux entités.Dunson est un type droit mais pétri de principes s'effaçant dans cette société qui s'annonce.Pour lui,l'autorité inflexible,la brutalité et le meurtre sont des choses tout-à-fait ordinaires et consubstantielles à l'Ouest sauvage dans lequel il s'est construit,tué ou être tué étant le dilemme de base.Garth est de la génération suivante.C'est aussi quelqu'un de dur,mais qui réfléchit plus et réprouve la violence aveugle et mortifère.Ils incarnent le basculement qui commence à naître dans un pays forgé par les armes et les tueries.La fin du film est un peu trop idyllique et expédiée,pas vraiment raccord avec la noirceur et la tension observées jusque-là,mais l'intervention de Tess,la femme forte qui met les deux gaillards au pas,présage de la féminisation d'un univers auparavant exclusivement viril et machiste.John Wayne et Montgomery Clift crèvent l'écran,chacun dans son registre.Le Duke fait valoir sa présence charismatique et sa rudesse,tout en introduisant de la finesse dans son jeu,et Monty est splendide en jeune homme éperdu d'amour et d'admiration pour son mentor,mais qui doit pourtant s'affirmer et "tuer le père" afin d'imposer son éthique.John Ireland est fracassant en pistolero de choc et ses scènes équivoques aux sous-entendus homosexuels avec Clift sont savoureuses tant il est clair que lorsqu'ils parlent de leurs pistolets et les comparent il est question d'autre chose.Le vieux Walter Brennan,plus grimacier que jamais,est agaçant ainsi qu'il l'est trop souvent.La belle Coleen Gray apparait trop brièvement mais de façon utile puisqu'elle définit le traumatisme initial de Tom,alors que la non moins jolie Joanne Dru s'affirme brillamment en fille amoureuse qui n'a pas froid aux yeux.