Un jour, François Truffaut a dit : "Quand on n'aime pas la vie, on va au cinéma". C'est certainement ce que pense Cecilia, sublimement incarnée par Mia Farrow, serveuse de restaurant peu douée, rêveuse et épouse trompée, humiliée et régulièrement battue par un mari chômeur. Nous sommes en 1935, c'est la grande dépression et Cecilia trouve réconfort dans la salle de cinéma de sa petite ville. Cinéphage, elle voit tout et plusieurs fois. Le film du moment, La Rose Pourpre Du Caire, l'emporte au cœur d'une utopie romantique et exotique. Elle en connaît l'intrigue par cœur et a un faible pour le héros explorateur. Jusqu'au jour où celui-ci la remarque également, jaillit de l'écran, saute dans la salle, enlève la spectatrice assidue et lui offre son amour.

Imaginer ensuite le désarroi de la pauvresse, au bras de son héros de fiction confronté au monde réel, a dû être artistiquement réjouissant pour Woody Allen qui s'amuse de toutes les situations possibles, même les plus sombres et dures. Un désarroi omniprésent qui touche les autres comédiens restés sur l'écran, incapables de poursuivre le film. Ils s'engueulent entre eux, haranguent les spectateurs stupéfaits... Appelé en catastrophe, l'acteur qui incarne le héros de fiction va tenter de raisonner son personnage afin qu'il regagne son monde en deux dimensions. Peine perdue, celui-ci résiste car il est tombé raide dingue amoureux de Cecilia. Mais l'acteur tombe à son tour amoureux de la jeune femme et la voilà tiraillée entre le héros romantique de ses rêves et l'autre, le même mais en "vrai". Qui choisir ?...

Difficile d'inventer un scénario plus vertigineusement emballant. Quel cinéphile n'a pas un jour rêvé de rentrer dans l'écran pour retrouver son héroïne ou son héros préféré (perso, ado, c'était Mel Gibson dans Mad Max 2 ♡) afin de les seconder dans leurs exploits, voire plus si affinité ?... Woody Allen, lui, imagine l'inverse et complique la chose, non sans une certaine jubilation, en confrontant l'acteur carriériste et un brin mégalo à son personnage épris de liberté. En ce sens, il croque l'une des plus brillantes et des plus pertinentes réflexions sur la fascination qu'exerce le cinéma. Mais, comme bien souvent avec Allen, qui dit réflexions ne dit pas pour autant discours ennuyeux. Surtout quand l'héroïne, Cecilia, se trouve être dépeinte comme des milliers, voire des millions, de jeunes femmes qui rêvent d'une plus belle réalité, à cent mille lieues de la noirceur sociétale, et qui trouvent un refuge sécurisé dans le 7ème Art.

Dans La Rose Pourpre Du Caire, le film dans le film (d'où s'échappe le héros de fiction) est une brillante parodie art-déco tandis que la bande originale reste certainement la quintessence des compilations offrant le meilleur des années 30. La photo, due à Gordon Willis, est un véritable plaisir des yeux et tous les comédiens sont absolument épatants. Danny Aiello est effrayant de violence dans le rôle du mari alcoolique de Cecilia, Jeff Daniels, dans son double rôle, reste pétillement envoûtant tandis que Mia Farrow est littéralement bouleversante de la première à la dernière seconde du métrage. Une très chouette découverte doublée d'un immense plaisir.

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le 28 juil. 2023

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le 24 nov. 2024

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