Dernier film de David Lean d'une riche carrière qui comporte des monuments comme "Brève Rencontre", "Le pont de la rivière Kwaï", "le docteur Jivago", "Lawrence d'Arabie" et "la fille de Ryan". Cette liste n'est d'ailleurs pas complètement innocente car reflète, en plus, la diversité des styles et des sujets abordés. Ce film n'échappe à la diversité en situant l'histoire dans une Inde coloniale.
Mais "la route des Indes" revêt pour moi autre chose : il est comme un écho en 1984 à un autre film que j'aime beaucoup qui est "le Fleuve" de Renoir (1951). Les deux films cherchent à percer cette Inde mystérieuse en sortant du cliché ou du film "carte postale".
Dans les deux films, on est encore en pleine période coloniale des années 20. Dans les deux films, la photographie que je peux sans trop de risques qualifier de somptueuse est là, d'abord en hommage à l'Inde, mais surtout pour mettre du sens aux personnages et essayer de décrypter le mode de fonctionnement de cet immense pays.
Attention, comme dans le film de Renoir, il ne s'agit aucunement d'un pamphlet anticolonialiste même si ici, Lean aborde un peu plus crûment certaines réalités que ne le faisait Renoir. David Lean, en bon orfèvre, laisse le spectateur se faire son opinion. Il nous laisse un certain nombre de portes ouvertes nous permettant d'approfondir ou de conclure, à notre guise …
L'histoire est passionnante avec ces deux dames anglaises qui débarquent et découvrent l'Inde, l'une, Mrs Moore, étant la mère du juge de la ville, l'autre, Adela Quested (Judy Davis), la fiancée de ce même juge. Les deux dames, complètement vierges de préjugés, ne veulent pas se cantonner au rythme rôdé de la colonie (club, bridge, parties, réceptions, entre-soi) et veulent entrer en contact avec la population hindoue.
La rencontre fortuite entre Mrs Moore (Peggy Ashcroft) et le docteur Aziz (Victor Barnejee) en pleine nuit, dans une mosquée est un moment magique comme on n'en voit pas souvent au cinéma. Quelque chose se produit dans cette scène dont on ressort, émerveillé, donnant une belle tonalité au film. Quelque chose d'apaisant, au-delà de toute idée de race, de sexe, d'âge. Jamais, ces deux êtres ne pourront se faire de mal.
Une autre scène concerne Adela, qui est en quelque sorte le personnage central du film autour duquel vont se cristalliser différents évènements dramatiques. On voit Adela faire une imprudente balade à vélo dans la campagne où elle tombe sur un temple qui semble abandonné avec des statues dans des poses plus ou moins érotiques, ouvrant sur une perception à la fois sur l'ambiguïté du personnage énigmatique d'Adela et d'un aspect méconnu, caché, de la riche civilisation hindoue.
Et si on parle maintenant des personnages, il faut d'abord parler du docteur Aziz. C'est un humaniste qui croit à ce qu'il fait. Au début du film, il est soumis à l'autorité coloniale qu'il admire, soyons clairs. Par la force des choses, il évoluera vers un comportement plus lucide et même vers son émancipation. Mais à la fin, il retrouvera son humanisme intact. Lui ainsi que Mrs Moore sont les très beaux personnages du film que David Lean a particulièrement soignés.
Le professeur Fielding (James Fox) est un "pont", un point de contact entre communautés hindoue et anglaise. Mais il paiera le prix fort en étant rejeté par les deux communautés.
Fielding, Dr Aziz et Mrs Moore sont les seuls vrais humanistes à imaginer une entente possible entre communautés.
Spoiler : Force sera de constater que ce rêve ne sera pas atteignable. Il faudra partir (Fielding), mourir (Mrs Moore) ou se replier sur sa communauté (Dr Aziz). À travers ces trois personnages, on peut deviner que les lignes ne peuvent que bouger en Inde.
Et puis il y a le sage, professeur lui-aussi, Godbole, brahmane de son état … C'est un étrange Alec Guiness que David Lean établit en pont "implicite" entre Orient et Occident. Dans le film, il est clairement dans la communauté hindoue. Fataliste, il suit les évènements qu'il considère inéluctables et se refuse à intervenir. Il suffit d'attendre la conjonction des astres …
Un caméo plein de signification ! avec le rôle d'un avocat joué par Roshan Seth ! Cet acteur jouait le rôle de Nehru (avec une ressemblance frappante) dans le grand film "Gandhi" de Richard Attenborough.
"La route des Indes" est un film que j'ai découvert il n'y a pas longtemps. J'en suis au deuxième visionnage et ai encore découvert des points qui m'avaient échappé. Il est certain que je reverrai à nouveau ce film. C'est donc un film intemporel d'une grande richesse sur ce fascinant pays qu'est l'Inde.
Le chant du cygne de ce très grand cinéaste David Lean.