Autant le dire d'emblée, ce film ne plaira pas à tout le monde. Et c'est normal ! Comme tous les films qui montrent explicitement et crûment des scènes de sexe, d'autant plus lorsqu'elles se rapportent au monde glauque et scabreux de la pornographie, La Saveur de la pastèque pourra déplaire.
Et pourtant. Et pourtant, une nouvelle fois, Tsai Ming-liang prouve qu'il est un grand réalisateur puisque rien dans son film n'est montré gratuitement, rien n'est laissé au hasard. Soulignons déjà la grande qualité de sa mise en scène : millimétrée, composée intelligemment sans paraître académique, elle est dotée au contraire d'une grande puissance d'évocation, par moments franchement poétique. Tsai sait filmer la (sa) ville (Taipei), ses rues monumentales, son mobilier urbain, ses appartements miteux, ses longs couloirs vides (à l'aide d'un objectif grand angle dans celui-ci) avec un talent remarquable.
Et puis Tsai, il possède surtout deux qualités immenses : un réservoir de symbolisme qui semble inépuisable, et des acteurs de grande classe. Il le dit dans l'une de ses interventions en public : il a appris au fil du temps à filmer le réel, le réel du cinéma, et à transmettre cette qualité à celles et ceux qui jouent pour lui. Un réel qui n'a rien à voir avec notre réel à nous, dans la vie de tous les jours, mais un réel auquel on s'identifie, dans lequel on trouve des résonances superbes avec nos peines et nos joies.
Derrière un scénario en apparence très simple (une femme revoit un homme connu naguère, et tombe amoureuse de lui), c'est tout un tas de questionnements sur la sexualité, le désir et l'amour que le réalisateur vient susciter. Comme dans The Hole, la solitude et l'incapacité à communiquer sont centrales dans La Saveur de la pastèque.
De façon beaucoup plus explicite, Tsai met en évidence la vacuité toujours plus exacerbée de la relation sexuelle dans un monde qui la dévalorise au point d'en faire une ressource marchande. Un monde duquel notre héros - encore une fois interprété par Lee Kang-sheng - cherche à préserver la femme qui s'est éprise de lui ? La pastèque, qu'il enfonce hardiment avec ses doigts pour faire jouir (artificiellement) l'actrice porno japonaise, demeure close pour la femme amoureuse, qui n'en embrasse que l'extérieur et se prend à l'employer comme le faux ventre d'une femme enceinte. Un accouchement survient, sans qu'il y ait eu coït, dans cette cage d'escalier où Hsiao Kang - le héros - vient se désaltérer après avoir shooté sa scène X. La rencontre entre les deux n'a pas lieu : il évite la femme - par honte, ou peut-être par désir de ne pas briser l'illusion d'une histoire qui ne pourra jamais pleinement s'épanouir... autrement que par l'obscénité de l'ultime geste, l'éjaculation buccale, qui sera sans répercussion sur la physiologie et la sociologie de ce duo absent. Quand je vous dis que Maître Tsai est sous-estimé, je le crois un peu plus fermement à chaque film que je vois de lui.