Deux. C’est le nombre de spectateurs qu’il y avait dans la salle hier soir pour la projection de La Solitude des nombres premiers. Triste fin de deuxième semaine d’exploitation pour un film qui est pourtant certainement ce qu’on a vu de plus beau, formellement parlant, depuis des lustres.
Saverio Costanzo, dont c’est le quatrième film, s’impose avec ce nouveau long comme un plasticien hors-pair, un vrai metteur en scène dont les procédés, pourtant très visibles (d’aucuns diront ostentatoires), n’ont rien de tapageur ou prétentieux. Belle preuve de savoir-faire, d’autant plus que le sujet traité (le parcours symétrique de deux êtres borderline, de leur enfance à l’âge adulte) était particulièrement casse-gueule : on imagine aisément les contraintes, de décor d’abord, narratives ensuite, inhérentes à ce type de sujet. Comment reproduire trois époques à la fois proches et déjà lointaines (les années 80-90-00) sans tomber dans la caricature ? Comment dépeindre le quotidien de gamins adulescents malheureux et éviter la sensiblerie ?
Heureusement tous les éléments ont été réunis pour faire de La Solitude des nombres premiers un film plein, singulier. Un film plein car ce sont bien tous les métiers du cinéma qui sont à l’honneur : que ce soit le montage, les costumes, la lumière, la photographie, le scénario, la musique (signée Mike Patton, le fou chantant de Faith No More, connu pour son éclectisme), tout est calculé au millimètre. On sent que la réussite du film tient à cette alchimie, à ce désir de faire VRAIMENT du cinéma. Et c’est probablement ce qu’il y a de plus fascinant dans La Solitude des nombres premiers, ce désir qu’il suscite de se mettre derrière une caméra, de monter une équipe etde se lancer. Saverio Costanzo (et son équipe donc) donne aussi naissance à des sensations nouvelles, à une nouvelle façon de ressentir les événements. Il sait faire naître l’inquiétude, la tension, d’événements a priori anodins (un père qui emmène sa fille au ski, une fête d’anniversaire, un congrès scientifique…), et l’inconfort permanent dans lequel il nous installe est pourvoyeur de suspense, d’attente parfois insoutenable. On parle beaucoup du retour du giallo à la vue du film mais le réalisateur italien utilise cela avec beaucoup de finesse. De sang il n’y a point, de morts il n’y a point. Et c’est justement cette alliance contre nature entre des procédés type (rythme, musique, décors) et un contexte surprenant, le mélo, qui fait mouche.
Il se passe à la fois beaucoup et peu de choses dans La Solitude des nombres premiers. Peu parce que le quotidien décrit est celui de millions de gamins, de millions de gens. Beaucoup parce que cette convergence d’événements a priori banals, on le découvre au fur et à mesure, forge des êtres à part détruits dès leur plus jeune âge par ce qui semble être de prime abord de petits riens. L’attachement que l’on ressent à ces personnages mutiques, marginaux et profondément mal dans leur peau, est unique. Bienfaisant aussi.