Rarement, mon jugement n’a été aussi troublé à la sortie d’une projection, quelle étrange histoire ! Un naufragé échoue sur une île déserte du Pacifique. Un rocher, une bambouseraie, des arbres tropicaux, un lac d’eau douce, quatre crabes et d’inaccessibles mouettes. L’involontaire anachorète s’emploie à bâtir un radeau. Ses espoirs de fuite sont détruits par un monstre marin, qui se révèle être une tortue. Furieux, l’homme blesse l’animal et l’immobilise... Touché par sa faiblesse, il tente de la ranimer... et découvre une jeune femme. La tortue s’est faite humaine.
Sommes-nous dans un conte fantastique ? Michael Dudok de Wit abuse des silences, des ellipses et des implicites. Il joue habilement avec nos réminiscences de Robinson Crusoé, Paul et Virginie et de La Petite Sirène, pour les transmuter... L’homme et la femme s’observent, s’apprivoisent puis se lient. Ils vivront de pêche et de cueillette, dormant dans un trou de sable. Ils contemplent une nature sauvage, que le réalisateur n’idéalise pas pour autant. Un tsunami viendra troubler leur sérénité, le monde demeure tragique.
Nous devons au regretté Isao Takahata, impressionné par les courts métrages du réalisateur hollandais, la commande de La Tortue rouge. Le dessin réaliste est d’une épure extrême. Le travail sur les ombres, la lumière ou la transparence de l’eau est magnifique. L’ensemble reste austère, et les quelques courtes scènes humoristiques des petits crabes peineront à dérider le spectateur. Faute de dialogue, vous vous laisserez émerveiller par la musique qui mixte les sons naturels, le vent jouant dans les bambous, les cris d’oiseaux, le ressac de la mer, aux arpèges de Laurent Perez del Mar. C’est très beau.