La Vénus à la fourrure par pierreAfeu
Polanski nous ouvre les portes de son théâtre. Après son Carnage raté, vaudeville bourgeois ne reposant que sur la performance des comédiens, il vient frontalement se confronter à la scène, lui qui est aussi acteur de théâtre, avec cette Vénus à la fourrure frissonnante.
Sorte de mise en abyme puissance dix, texte brillant sur le jeu, scénique, amoureux et sexuel, variation sur le trauma de l'enfance, le plaisir de l'avilissement et de la douleur, La Vénus à la fourrure trouve en Polanski son passeur idéal. S'appuyant sur la fidélité sans faille de ses deux interprètes, le cinéaste octogénaire nous livre une partition virtuose.
Le film nous prend au moment où on ne s'y attend pas. Les premières minutes sont presque malaisantes : Emmanuelle Seigner en fait des caisses. Elle assure, mais on se demande combien de temps elle tiendra. Et Amalric en pseudo Polanski, que va-t-il nous offrir ? On ne connait pas le texte, on s'inquiète du huis-clos, de ses contingences, de sa vacuité. Et puis Emmanuelle-Vanda récite la première phrase de la pièce qu'elle est venue auditionner, Mathieu-Thomas lève les yeux d'effarement, un premier frisson nous étreint. Il se passe quelque-chose. Polanski nous tient. Il ne nous lâchera pas.
Tout le film sera à l'image de ce premier frisson. Le texte est riche et soutenu, exigeant, très écrit, mais diablement bien rythmé, très habile, imposant les ruptures de ton, les retournements de situation, les dévoilements. La mise en scène est sacrément élégante, souple et puissante. La musique d'Alexandre Desplat est inspirée. L'interprétation est exceptionnelle.
On n'a jamais vu Emmanuelle Seigner ainsi. On sent la complicité qu'elle partage avec son metteur en scène de mari, la confiance totale qui les lie. Elle s'impose ici avec virtuosité, campe avec fermeté un personnage complexe, trouble et dominateur. Sa présence est impressionnante. Elle a du chien. C'est la voix de Mathieu Amalric qui lui donne la réplique. Cette voix grave et puissante, prenant par instant les accents de Trintignant, n'a jamais été aussi belle. Amalric se donne à Seigner, se donne à Polanski, ne cabotine pas. À l'image de son personnage, il s'abandonne littéralement.
La scène de fin, païenne et folle, est absurde et splendide, et nous rappelle combien Polanski est aussi un grand cinéaste. Sa Vénus à la fourrure est un grand moment de plaisir baigné de fantasmes et de frissons, de bottes en cuir et de lipstick.