L'amour est une girouette.

La graine et le mulet fut le meilleur film français que j'ai vu depuis 2008.
Et donc, bis repetita, c'est encore un film de Kechiche qui fait que je vois encore quelque chose de magnifique dans le paysage cinématographique français.

Pourtant, j'avoue qu'au départ, le récit du tournage me faisait penser à du Apocalypse Now, que le montage a été très long, que Kechiche s'est embrouillé avec Léa Seydoux... Au final, seul compte ce qu'on voit à l'écran, qui raconte en fin de compte la naissance de l'amour chez une fille auquel on lui disait qu'elle devait tomber amoureuse d'un garçon.
Sauf que le désir, elle l'a, mais pour une autre fille, ce qui va chambouler sa vie.

Comme le titre du film l'indique, le film est clairement divisé en deux parties, l'une consacrée à l'adolescence, et l'autre à l'âge adulte. On voit bien que chez Adèle (interprétée par cette révélation majuscule qu'est Adèle Exarchopoulos), elle est en recherche permanente ; de son avenir professionnel, de sa sexualité, de son amour, d'une envie fortement suggérée d'être mère, et même, lorsqu'on pense qu'elle est accomplie, de quelque chose qui la fasse vraiment vibrer, comme une vocation.
La recherche commence par une rencontre avec un garçon, avec qui elle couche, mais rien. Elle a déjà Emma, la fille aux cheveux bleus, en tête. Et puis arrive une des premières scènes magnifiques du film, que je n'avais vu filmé ainsi ; la naissance de l'amour chez l'une comme chez l'autre. On voit bien la tension entre les deux jeunes femmes, qui commence par des regards en biais, des sourires, des rapprochements, pour finir sur un baiser tendre, puis âpre. Kechiche a cet art de montrer cet amour comme une lame de fond qui emporte tout.

Quant aux fameuses scènes de sexe, qui sont assez nombreuses, soit toute seule, soit hétérosexuelles ou homosexuelles... Objectivement, elles sont très bien filmées, suggérant une fusion, mais je dirais presque qu'elles sont un peu trop longues, car on a vite compris qu'avec un garçon, Adèle ne prenait pas son pied, tandis qu'avec Emma, c'est le bonheur total.
Mais résumer le film à des scènes pareilles serait passer à côté de ces moments souvent très forts et si justes, comme la scène de la séparation, ou les moments où Adèle travaille avec des enfants en tant qu'institutrice, où la transformation de la femme dans un autre âge se fait simplement par le biais des chevelures et le phrasé qui se veut plus posé. C'est tout simple, mais j'ai vraiment cru à voir Adèle et Emma vieillies, cette dernière perdra sa chevelure bleue en cours de route.

J'arrive très bien à comprendre les tourments vécus par les deux femmes, la justesse des situations, la violence des mots, c'est peut-être aussi que je me suis tant attaché à ces deux filles, l'une pour qui l'amour semble éternel, et pour l'autre un moyen de s'accomplir.
A ce sujet, il faut aussi saluer le talent de Léa Seydoux, qui ne me convainc pas toujours, mais là, je la trouve bluffante.

Pour ergoter, je dirais que Kechiche a peut-être rat une caractérisation de ses deux personnages par le biais des parents. Je veux dire par là que les scènes de repas, où les gens modestes mangent des spaghettis, et les plus riches mangent des huitres et boivent du champagne, il y aurait plus subtil pour décrire la différence sociétale entre Adèle et Emma, qui n'est pas plus évoqué que ça dans le film.

A ceci près, j'ai été totalement envouté par le film, dont la durée mastodonte ne m'a pas gêné (j'en aurais bien repris trois heures de plus), et je retrouve là le Kechiche de La graine et le mulet ; quelque chose de réaliste, dans l'air du temps, et en même temps totalement universel.