Tout d'abord, le film La Vie d'Adèle n'est pas une adaptation fidèle de la superbe bande-dessinée Le bleu est une couleur chaude. Si des dialogues sont parfois les mêmes mots pour mots, Abdellatif Kechiche s'est éloigné par de nombreux aspects des formes d'écriture et de la trame dramatique qui rythment l'ouvrage de Julie Maroh.
Ensuite, essayons de s'écarter de toutes les polémiques pour juger le film de la manière qu'il mérite : une oeuvre cinématographique (de l'art).
Maintenant, laissez-moi vous exposer ce qui m'a plu et déplu dans ce film, primé de la Palme d'Or à Cannes.
Tout d'abord, les actrices. Elles rentrent de loin dans la catégorie des pour. Adèle Exarchopoulos et Léa Seydoux sont bien parvenues, à l'aide de la direction de Kechiche, à rentrer dans la peau de leur personnage, respectivement Adèle et Emma (peut-être pas suffisamment fouillé par Kechiche : on ne la voit que rarement exprimer ses sentiments). Notons de véritables performances pour diverses scènes. Les seconds rôles sont également joués avec brio et gardent le film réel, ce à quoi contribuent les dialogues simples et donc naturels des personnages (ceci dit, parfois pas vraiment pertinents).
L'image, la photographie, est plutôt réussie dans l'ensemble, même si, comme le jeu des acteurs, certaines scènes la mettent plus en avant que d'autres, parfois des scènes dont je n'ai pas nécessairement compris l'utilité (les plans de branches d'arbre dont les feuilles sont bercées par le vent... c'est poétique, mais ça rentre pas vraiment dans ce qu'aborde le film : le questionnement sexuel d'une adolescente et ses prolongements).
Ici, j'entre dans la partie des contre. Des choix dans la réalisation restent hors de ma compréhension. Passée la présence considérable de nourriture dans le film (ce qui n'est pas le sujet principal dirons-nous), notons la quantité et la durée longue des scènes de sexe. Souvent, le même schéma se répète pour ces scènes : les premières images évoquent formidablement l'intimité et la sensualité des rapports sexuels (plans rapprochés sur les visages, les caresses), puis au bout de deux minutes la caméra s'éloigne pour voir de haut pendant encore plusieurs longues minutes les simples caractères physiques du sexe seulement. Pourquoi pas, sauf qu'on ne comprend plus trop si Kechiche filme des rapports humains avec des sentiments ou un film pornographique. On vivait jusqu'à présent aux côtés d'Adèle, on est soudainement renvoyés devant le film, on délaisse l'amour.
Le deuxième gros point noir du film est pour moi le manque de compréhension. On comprend bien qu'Adèle se pose toute une série de questions, qui évoluent selon sa maturité et son expérience, mais on ne parvient pas à savoir quelles sont ces questions, et ce qu'elles signifient pour elles. Un bref exemple pour illustrer mes propos : Kechiche a mis en scène la manifestation de gauche, présente dans la bande-dessinée (où elle se déroule en protestation du plan Juppé de 1995). Soit. Mais il manque les interventions d'Adèle par ce qu'elle écrit dans son journal intime pour comprendre que c'est cette manifestation qui lui a permis de reprendre confiance en elle en tant que personne, au travers de la citoyenneté. Il manque ces clés de lecture dans le film. De même, le dénouement de la bande-dessinée engage à une véritable réflexion là où le film laisse les spectateurs sur sa fin. Il manque des clés de lecture au film, rendant ses interprétations difficiles : peut-être Kechiche a eu du mal à lever son nez de la bande-dessinée, considérant évident ce qu'il a filmé alors qu'il manque des pistes de lecture. Si la bande-dessinée traitait bien de l'homosexualité, j'ai eu l'impression que le film traitait plus simplement de l'amour passionnel, sans l'ambiguïté posée par l'adolescence et l'homosexualité (éludant par exemple le rôle de Sabine, compagne d'Emma, et des parents d'Adèle) : on sort avec l'impression que les questions ont été évoquées de manière superficielle, sans être approfondies, sans la recherche d'une réponse. On voit l'existence du sujet sans le fouiller, un manque de discours.
Reste que le film est agréable à regarder, on ne sent pas passer les 3h de film, d'où ma note au-dessus de la moyenne. J'ai également apprécié l'hommage rendu à la bande-dessinée dont les parties en noir, blanc et bleu sont compensées par la présence de bleu à quasiment tous les plans du film.