Blue is the warmest colour
Des films qui hantent l'esprit à ce point, dont on parle et reparle pendant des heures après le visionnage, il y en a peu.
La Vie d'Adèle est de ceux-là, car même si on n'en apprécie pas tous les instants, même si on ne se laisse pas toucher par tout, on en ressort forcément avec quelque chose à dire tant il y a de détails à déceler et tant l'émotion reçue nécessite d'être évacuée.
Le terme "émotion" est à prendre ici au sens large, et non seulement au sens gnian-gnian sous-entendant qu'on a versé sa larme à plusieurs moments du films (ce qui ne fut pas mon cas, soit dit en passant). Dans La Vie d'Adèle, on passe par une palette bien plus large : solitude, dégoût, rejet, indignation (réelle ou amusée), tendresse, solitude, tristesse, désespoir...on a le ventre qui papillonne comme celui des héroïnes au moment de la rencontre, on a le ventre qui se serre quand les choses commencent à aller mal...
Tout ceci nous est offert tant par le jeu des actrices, époustouflant à plus d'un titre, que par la réalisation, pensée dans les moindres détails. Si le jeu des actrices nous happe dans le film pendant trois heures, la réalisation nous y fait repenser pendant des heures, voire pendant des jours ! D'une richesse indescriptible tant il faudrait décrire de scènes pour en rendre compte.
L'histoire en elle même, quand on y repense, est d'une grande banalité : un coup de foudre, un début d'histoire dans la bonheur absolu, la lassitude, le doute, l'erreur, et la rupture. Une histoire d'amour intense comme on en a vu et comme on en reverra ; un schéma qui nous parle à tous tant ce vécu est commun. Kéchiche réussi là une certaine prouesse : celle de parler d'homosexualité sans en parler vraiment. Il s'agit d'une histoire comme les autres, le fait qu'elle se déroule entre deux femmes est finalement accessoire . Un autre éclairage par rapport à la BD qui mettait plus en scène la difficulté de l'héroïne à trouver et à assumer sa vie amoureuse.
Le rythme du film est assez particulier et peut être déstabilisant. On comprend que l'histoire se déroule sur une dizaine d'année. Les ellipses temporelles sont donc nombreuses, mais les scènes s'enchaînent sans que ces ellipses soient clairement explicitées. C'est donc au spectateur de relever les différents indices qui peuvent lui permettre de comprendre que du temps a passé : un cours de français avec un nouveau prof nous indique qu'Adèle est passée en terminale, un changement de coiffure marque la transition entre le chapitre 1 et 2, l'âge d'un enfant nous indique que plusieurs années ont passé...bien entendu, je ne me souviens que des plus évidents...
Le jeu et le style des actrice les fait vieillir imperceptiblement, comme dans la réalité où seul un regard sur une photo d'il y a dix ans nous fait prendre conscience que oui, on a bien grandit depuis...
Cet attachement à la réalité est constant dans le film, et on a parfois plus l'impression de vivre les choses, ou de les avoir vécues, que de les regarder. Parce que oui, ce regard perdu qui se demande ce qu'il fait là, cette révélation fulgurante, ce doute insidieux...ça nous est arrivé aussi. Ces instants sont tellement emprunts de réalisme qu'ils font écho à des choses réellement vécues.
BREF, je ne vais pas passer en revue tous les aspects et toutes les subtilités du film, ce serait bien trop long, et surtout un brin inutile. Il faut aller le voir. C'est un de ces films qui vous hantent, un de ces films dont vous reparlerez des jours, des semaines, voire même des mois ou des années après, un de ces films qui est presque plus plaisant après que pendant car TOUT, absolument tout se prête à analyse et discussion. Comme dit précédemment, rien n'est laissé au hasard dans la réalisation ; des fois on aime, des fois on n'aime pas, mais dans tous les cas on sait que le réalisateur avait une intention particulière et on cherche, on réfléchit : pourquoi a-t-il filmé ça comme ça ? Que veut-il faire passer quand il met ceci en avant ? Et ça, ça voulait dire quoi ??
Et puis des fois, on arrête de réfléchir, on se laisse aller, on plonge dans le sourire d'Adèle, on se noie dans ses larmes. On s'oublie dans les yeux scintillants d'Emma, bleus, comme ses cheveux. Et oui, vraiment, à la lumière de ce bar, éclairé par ce rire et par la magie d'un amour naissant, aucun doute, le bleu est une couleur chaude.