La Vie d'Adèle - Chapitres 1 et 2 par Charles Dubois
Sans être le chef d'oeuvre encensé qu'il semblait être, La vie d'Adèle, et ce contre mes attentes qui le redoutaient comme un film ultra polémique et volontairement insupportable, est un très beau film, délicat et touchant.
La vie d'Adèle est le représentant parfait d'un type de cinéma que je n'apprécie guère. Ce genre, très français, nous montre d'une manière la plus réaliste possible des choses de notre quotidien (à la manière d'un Polisse, qui reste lui aussi un modèle du genre). Caméra en perpétuel mouvement, éclairages naturels, gros plans immersifs, tout est là pour nous faire oublier la caméra et pour nous plonger dans un quotidien où l'on se reconnait tous.
Ce qu'il y a de troublant dans la vie d'Adèle c'est que tout cela semble n'être qu'une tranche de vie d'une adolescente commune montrée, pure, brute, à un spectateur qui assiste au viol de l'intimité d'une jeune fille. Kéchiche entre dans la vie de son héroïne et capture avec sa caméra intrusive et presque malsaine, tous les moments de sa vie : ses relations avec les garçons, ses soirées, ses dîners de famille, la découverte de son homosexualité, sa vie sexuelle...
La barrière entre vie privée et vie publique est franchie ; Kéchiche nous épargne heureusement les scènes où Adèle va faire caca. Après tout pourquoi pas ? Après son sommeil, ses rêves érotiques, ses masturbations et ses relations sexuelles, on en était pas à ça prêt.
Son film est très actuel. En osmose avec son temps il traite (avec malheureusement beaucoup de lourdeur parfois) des thèmes quotidiens (homosexualité, les revendications syndicalistes, les différences entre les classes sociales,...).
Pour être réaliste, dieu que c'est réaliste : et v'la qu'ça bave et qu'ça bouffe des spaghettis à tout va et comme des cochons, et que ça se mouche dans ses mains, et que ça morve et qu'ça bave... C'est sale. Mais c'est aussi touchant.
A bien des égards, le réalisateur nous livre une histoire d'amour sublime. Jamais l'amour aura été montré de cette façon. Kéchiche utilise la longueur de son film (3h qui passent à une vitesse hallucinante, aussi vite que la vie d'Adèle, entrecoupées d’ellipses de plusieurs mois) pour prendre son temps, pour inclure des silences d'une beauté sans nom et pour étirer des scènes où s'entrechoquent longs plans séquences et multitude de plans. A l'image de cette scène magnifique ou Adèle parle avec Emma pour la première fois et découvre un monde qu'elle ne connaissait pas dans un bar lesbien. Tout est vu depuis les yeux naïfs mais non moins intelligents, de cette Adèle jouée (Que dis-je, incarnée !) par la délicieuse Adèle Exarchopoulos. Adèle donne sa vie à Adèle. L'actrice semble ne même pas jouer mais plutôt se prêter au jeu de vivre une vie parallèle qui serait guidée par un script. Elle INCARNE ce personnage, à un tel point que c'en devient à certains moments troublant. Son césar est amplement mérité.
Seulement l'histoire d'amour est gâchée à mon sens par une séxualité omniprésente, quasi obscéssionnelle, révélateur total d'une société qui lie maladroitement et systématiquement sexe et amour. Merci monsieur Kéchiche, vos longues scènes de sexe plus qu'explicites sont très jolies mais sont purement inutiles et desservent un film qui n'en avait pas besoin. Alors c'est vrai, ces scènes ont fait parler de votre film, lui ont fait attribuer le logo -16 ans au cinéma, et on de ce fait attiré beaucoup de spectateurs que s'il n'y en avait jamais eu. Mais l'art, n'est ce vraiment que du business comme le dit le personnage d'Emma ?
C'est vraiment dommage. Le sexe est un centre d'intérêt total, une obsession quasi maladive qui revient à toutes les sauces et on ne peut être que déstabilisé en s'imaginant le réalisateur prenant son pied à ausculter à un tel point (trèèèèès gros plans à l'appui) chaque partie du corps de ses actrices.
L'amour puissant et inédit que le film véhicule est entaché par ces scènes beaucoup trop longues et beaucoup trop systématiques qui alourdissent le film, déjà assez alourdis par des allusions plus qu'explicites au sexe (notamment par la bouffe, deuxième obsession du film) et par un traitement assez grossier des réalités sociales. Il est bien beau et facile le raccourci des gens de moyenne classe sociale qui mangent des pâtes tout le temps en regardant questions pour un champion et en buvant du vin rouge tandis que les bourgeois parlent d'art à table, mangent des huîtres (très classe l'allusion au sexe féminin, aussi fine que celle de Michaël Youn dans son Fatal) en buvant du vin blanc.
Néanmoins, la vie d'Adèle, reste un film unique et d'une beauté insoupçonnée grâce à la force de ses acteurs (actrices) et par une mise en scène qui magnifie chaque image.
Bien loin d'être le chef d'oeuvre tant acclamé par la critique qu'il en fût (une triple palme d'or (et même une palme d'or tout court) à éviter la prochaine fois...) le film est tout de même réussi.
Une jolie surprise en quelques sortes.