La vie d'Adèle - Chapitres 1 et 2, LE film par lequel tous les scandales et toutes les polémiques arrivent depuis le dernier festival de Cannes et plus encore depuis que la promo a commencé autour de sa sortie le mois dernier. Entre une partie des techniciens du film qui se plaignent des méthodes de travail du réalisateur, Kéchiche et Seydoux qui se déchirent par presse interposée à tel point que le premier veut désormais trainer la seconde en justice, et les critiques comme les spectateurs qui sont radicalement partagés dans leur avis (entre ceux, majoritaires, qui crient au chef-d'oeuvre absolu, et les autres, qui dénoncent des problèmes de lesbophobie, d'obscénité, de caricature sociale et d'idéologie douteuse) ; il y a bien longtemps qu'un film n'avait pas à ce point suscité débats et controverses !


Pour vous faire une idée, je vous invite à lire deux critiques assez brillantes (surtout la première, car extrêmement analytique, précise, engagée et riche en annexes) qui semblent se répondre :


Critique contre : http://marv.les-forums.com/topic/985/la-vie-d-adele-chapitres-1-et-2-abdellatif-kechi/


Critique pour : http://blogs.lesinrocks.com/kaganski/2013/10/29/la-vie-de-la-vie-dadele/


Mon avis aurait tendance à se situer à la rencontre de ces deux regards radicalement opposés.


Durant sa premier heure, La vie d'Adéle s'impose comme un grand film brillamment réalisé qui s'attaque avec une formidable intelligence aux thèmes de la quête identitaire et de la naissance du désir. Rarement les premiers pas d'une relation, la naissance du désir (de l'autre mais aussi d'un genre), le trouble des premiers regards, l'attraction qui se crée au fil de conversations maladroites et de gestes délicats auront été aussi bien représentés à l'écran. Et c'est positivement bouleversant à suivre.


Puis une fracture s'opère, au moment même où les deux héroïnes passent à l'acte lors d'une très longue scène de sexe, suivie de deux autres plus tard.
Disons-le simplement : pour moi comme pour la plupart des mecs hétérosexuels, mater les ébats de deux nanas est un spectacle on ne peut plus enthousiasmant, surtout lorsque les filles en question sont les deux jeunes et superbement gaulées actrices à l'affiche. Mais là où Jean-Claude Brisseau (Choses secrètes) créait un vrai trouble érotique en accordant à ses scènes lesbiennes, pourtant hyper réalistes et non simulées, une dimension psychologique et une esthétique onirique, Kéchiche prend le parti du naturalisme absolu qui induit un voyeurisme cru. Et cette position voyeuriste, dont il part et dans laquelle il met le spectateur, crée le malaise : au bout d'un moment, on a envie de détourner les yeux de l'écran, ce que j'ai fini par faire, gêné d'être dans l'intimité de ces filles, au pied de leur lit, alors qu'elles devraient pouvoir baiser tranquille sans être matées.
Pire, on a la sensation, lors de ces récurrentes scènes de sexe, de voir défiler tout le catalogue des positions attendues. Or, pour qu'un spectateur masculin lambda se fasse cette réflexion, c'est à dire pour qu'un mec qui ne sait rien ou presque de la sexualité lesbienne se sente en terrain familier, c'est qu'il reconnait la sexualité qu'il voit habituellement dans les pornos (où c'est un hétéro qui dirige deux nanas hétéro pour exciter un public hétéro) et donc que le regard porté sur cette histoire d'amour homosexuelle entre deux femmes est celui d'un homme qui y a mis ses propres fantasmes et ses propres présupposés plus ou moins vicelards.


D'ailleurs, comme l'avait justement fait remarquer Christophe Bourseiller lors de son tout premier passage dans l'émission critique Ça balance à Paris, La vie d'Adèle n'est pas une histoire d'amour mais l'histoire d'une passion charnelle : car enfin, en dehors du lit, où elles s'éclatent effectivement, ces deux filles n'ont à peu près aucun point commun, pas grand chose à se dire et s'opposent sur plein de choses fondamentales.


Au fur et à mesure que le film avançait, j'étais de plus en plus gêné par ces gros plans que j'avais trouvés si bouleversants dans sa première heure, au point d'en voir marre de toutes ces bouches qui mangeaient si bruyamment et surtout des larmes et de la morve d'Adèle, à qui j'avais envie de tendre un mouchoir. Mais de-ci de-là Kéchiche me proposait une nouvelle fulgurance, comme cette scène de rupture sur laquelle plane l'ombre de Pialat ou cette autre scène de retrouvailles non moins violente dans un café, plus tard.


Alors chef-d'oeuvre raté ? Film formellement gênant et très caricatural dans le fond (l'opposition des milieux sociaux est traitée avec de très gros sabots) mais traversé de traits de génie ? C'est un peu tout ça, La vie d'Adèle.

AlexandreAgnes
6
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le 16 juin 2016

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Alex

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