Noblesse de l'échec.
« La Vie d’O’Haru, femme galante », n’est pas le film le plus cité de la filmographie de Kenji Mizoguchi. Dans la carrière du prolifique cinéaste japonais, ce sont d’autres noms qui ont tendance à...
le 11 avr. 2016
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Si l’on devait dresser un portrait des trois grands cinéastes qui ont mis en scène les mœurs de la société japonaise, on dirait qu’Ozu en était le représentant contemporain et moderniste, que Naruse en était son pendant Freudien et que Mizoguchi en fût le penseur historique.
En ce qui concerne le dernier cité, j’ai personnellement toujours été frappé par les titres français de ses œuvres, qui a eux seuls ont une portée poétique et romanesque. Ayant découvert son cinéma avec Les Contes de la Lune Vague Après la Pluie, a une époque où il était à peu près le seul titre visible de cet auteur, j’ai toujours chercher à découvrir plus amplement son œuvre.
La Vie d’Oharu Femme Galante, narre les déambulations tragiques d’une femme dans le japon féodal. Une société culturellement très machistes et ancrée dans cette tradition patriarcale qui consistait pour les femmes à subir les choix du père quant à leur avenir sentimental. Le libre arbitre ne se limitant pour ces dernières à nourrir des illusions de doux rêves secrets.
O’Haru a osé vivre ce rêve, s’amourachant d’un homme de caste inférieur, et devra toute sa vie durant subir ce sacrilège. Après avoir été vendue à un riche seigneur afin d’enfanter un fils qu’elle n’aura le droit de voir que de loin, elle finira comme courtisane dans une maison de passe.
On l’aura compris c’est dans ce portrait remarquable de cette femme-objet, totalement privé de libre-arbitre, que Mizoguchi instille une sorte de climat de fatalité non dénué d’une grande ironie et d’un sens de la dérision frappant quand il s’agit de tourner en ridicule les déviances et l’incrédulité des hommes dans cette société féodale. Certaines scènes sont frappantes de ce second degré presque comique qui dépareille totalement avec la dramatisation exacerbée liée au sujet. Les hommes et leur rapport à l’argent, le conservatisme extrême des géniteurs qui préfèrent perdre leur progéniture que leur honneur, les tensions qui naissent de petites futilités, etc.
Avec un grand sens pictural et un découpage quasi chirurgical, chaque scène est mise en scène selon un point de vue bien précis. Les réunions où les hommes débattent sont filmées de dessus et en plan large comme s’il fallait prendre du recul et filmer de haut la meute absurde qui débat tel des insectes ridicules. Les déambulations de l’héroïne tragique sont quasi mystifiées par une réalisation plus sobre et accompagnées d’une musique désaccordée tendant à intensifier ces désillusions et ses rêves perdus. C’est dans cette voie que le film prend toute son intensité dramatique et que l’émotion naît naturellement.
Si l’on peut parfois reprocher au film son côté presque pompeux dans le tragique, force est de constater que c’est justement en appuyant sur ce constat cruel que l’auteur alimente son propos d’une critique sans concession d’une société dont le conservatisme et les mœurs étriqués tournent naturellement à cette impasse narrative dont naît la fatalité d’un destin tout tracé. Ou quand le destin d’une femme devient une longue déambulation dont ces seuls attributs, sa beauté et sa délicatesse, s’accrochant à des rêves et des illusions qu’elle perd peu à peu au détriment d’une errance dont la spiritualité atteindra son apogée dans la scène finale.
Un grand film, certes parfois exagérément trop poussé dans ses retranchements fatalistes et tragiques, mais à la beauté picturale savamment dosée et l’ironie tranchante qui sait moquer ce qui mérite de l’être.
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le 25 avr. 2018
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