On dit qu'il faut d'abord détruire pour créer, et je pense que dans l'histoire récente du rock, aucun musicien n'aura mieux incarné cet adage que Kurt Cobain. Que l'on prenne sa trajectoire d'étoile filante sous le prisme de l'artiste ou sous celui de l'homme derrière la destruction fait constamment figure d'alpha dans le processus créatif. Détruire le rock poussiéreux à la papa, pour créer le grunge, détruire son image médiatique pour créer sa propre mythologie, se détruire enfin pour créer la légende. Et l'on pourrait multiplier les exemples.
Je suis un très grand fan de Nirvana et de sa figure de proue, et là encore je pourrais développer ma théorie sur la destruction qui mène à la création, car si le mouvement grunge dont le groupe reste selon moi le porte étendard s'est éteint à la disparition tragique du charismatique chanteur, elle a paradoxalement ouvert la voie à toute la scène rock des années 2000.
Longtemps je m'étais interdit de voir ce film, car je craignais à tort, de voir un biopic malhonnête, c'était sans compter sur l'intelligence et la sincérité de Gus VAN SANT qui tout au long de sa filmographie s'est attaché à dépeindre les affres de l'adolescence mais en y insufflant bien plus que le côté mièvre de cette période compliquée de la vie - l'adolescence qui symboliquement constitue le moment où l'on détruit son enfance pour créer l'adulte, on y revient toujours - Gus Van Sant se fend non pas d'un simple hommage, mais d'une véritable déclaration d'amour envers Kurt.
En choisissant un rythme extrêmement lent, contemplatif le film a la politesse d'épargner au spectateur le côté bruit et fureur qui répond aux clichés du cirque rock, malgré tout l'aspect urgent et rageux transparait dans tout le hors-champ du film, que ce soit la fuite en avant du protagoniste principal, l'immaturité de ses colocataires etc.
On assiste, impuissant à l'inéluctabilité d'un destin foudroyé, d'un destin dont la célébrité et ses impératifs ont fini par lui être insurmontables et le film à travers une mise en scène où par exemple l'on voit des scènes sous différents points de vues, tente avec une certaine réussite de nous faire toucher du doigt qui était ce garçon empli d'un besoin de création vital, mais dont ce besoin devait passer par la destruction des codes, des anciennes gloires, de soi.
Ce film m'a énormément ému, de façon subjective sans doute, il m'a touché tant dans sa forme que dans son propos, il a éclairé d'un nouveau jour mon affection envers l'étoile filante qu'a été Kurt Cobain, il m'a réconcilié avec mon adolescence et fait réaliser que d'un certain côté je suis l'adulte que je suis parce que j'ai été cet adolescent fan de Nirvana, parce que j'ai déconstruit mon enfance comme Cobain a déconstruit à travers son suicide sa notoriété trop envahissante pour créer sa propre légende, son propre mythe. Radical.
J'invite ceux qui voudraient ainsi comprendre ce qu'a pu être Kurt Cobain à compléter ce film avec le documentaire Cobain Montage of heck (2014) qui lui aussi démontre sa soif viscérale de création, bien qu'à son endroit je reproche une partie intrusive dont je doute que Kurt fut très amateur.