Je l'attendais avec impatience cet Edgar Wright, d'autant plus que le réalisateur s'essaye à un nouveau genre pour lui, loin de ses brillantes "gamineries" qui faisaient jusqu'ici le sel de son univers, à savoir le thriller psychologique et horrifique.
Esthétiquement et référentiellement avec ses nombreux clins d’œil colorés et fluorescents à Bava, Argento, Clouzot période L'Enfer, ça en fout non seulement plein les yeux (l'ensemble est un plaisir sur la forme !), mais aussi dans l'esprit d'un cinéphile passionné.
Et c'est aussi un hommage au rétro des années 1960, ce rétro si élégant, si pétillant, rendant si nostalgique (et point de vue musical, comment ne pas kiffer !). Mais attention aux apparences, je vais y revenir plus tard.
Et pour bien accentuer une confrontation entre les années 2020 et cette décennie bien antérieure, quoi de mieux que de prendre des actrices de la jeune génération, Thomasin McKenzie (avec qui je fais connaissance et qui est indubitablement une révélation, capable totalement d'assurer dans un premier rôle !) et Anya Taylor-Joy (qui accroche le regard comme ce n'est pas permis et dont la classe s'harmonise à merveille avec celle de l'époque qui a donné naissance à James Bond au cinéma !) pour les mettre face à la vieille garde très solide et charismatique qui a explosé lors du Swinging London, Terence Stamp, Diana Rigg (dans son dernier rôle ; merci pour tout, mais vraiment !) et Rita Tushingham (qui était aussi à l'aise dans le réalisme sans fard d'un Richardson que dans le romantisme tragique d'un Lean ; oh, put..., qu'est-ce que j'adore artistiquement cette période passée !).
Les premières minutes, pendant lesquelles le réalisateur sait qu'il faut montrer un maximum (ou du moins le faire ressentir !) et dire le minimum, est un modèle de ce qui faut faire dans le domaine de l'exposition des personnages, de leur univers, etc. On reste dans les années 2020, où dire des remarques salaces à des femmes est déplorablement commun, mais moins considéré comme normal par la société. Plus, on plonge dans des sixties idéalisées (avec une affiche énorme d'Opération Tonnerre, un indice pas innocent de la suite à venir, vous savez le film où le mâle alpha absolu séduit les femmes, quitte à faire entrer dans le crâne que "non, non, non" équivaut à "oui, oui, oui", sans que ça dérangeait personne ; ben oui, c'était normal !), telles qu'on a envie de se les représenter, telles qu'on les rêve, pour peu à peu laisser la place à leur réalité, à une société profondément machiste et patriarcale dans laquelle une femme ne peut que fermer sa gueule et accepter tout cela que comme la normalité.
Le rêve sucré laisse la place au cauchemar glauque. La protagoniste est d'abord bien séparée du fantôme du passé qui envahit son imagination pour petit à petit se confondre avec elle, jusqu'à se perdre et perdre le spectateur. C'est ambigu et on va avoir le droit à cela pendant les deux premiers tiers. C'est du très bon. C'est malaisant à souhait.
Dommage que le dernier ne soit pas à la hauteur en virant dans la révélation bien téléphonée, expliquant ce qui n'avait pas besoin d'être inévitablement expliqué et donc occultant une complexité qui était pourtant la bienvenue, foutant aux orties le trip psychédélique, écrasant toute possibilité de liberté d'interprétation (eh oui, spectateurs, on aime bien pouvoir se faire son propre film !).
Non, il n'y avait pas besoin de tomber dans cela pour faire comprendre que non, ce n'était pas mieux avant, que les années 1960 n'ont pas constitué une période facile à vivre pour les femmes, subissant plus que vivant. Ce qu'il y a avant, dans tout son trouble, le fait très bien saisir et un dernier tiers de la même eau aurait été satisfaisant.
Et sérieux, il y a une incohérence de très gros malade. Je sais que la police dans le passé n'était pas au point pour traquer les serial killers, mais vous trouvez crédible qu'elle n'aurait pas fait très vite le rapprochement des diverses victimes avec la prostituée meurtrière. D'autant plus que trucider une personne avec un poignard dans un lieu clos, ça laisse énormément de trace. Et certains vont me dire, "ouais, mais dans Hot Fuzz, c'est tout un village qui zigouille des "gêneurs" et pourtant personne ne le remarque !". Ce à quoi je réponds à toi, ô interlocuteur imaginaire, qu'il s'agit, comme tous les opus de la trilogie Cornetto, d'une comédie basant une majeure partie de son humour sur l'irruption de l'invraisemblable le plus grotesque et délirant au monde dans le cadre quotidien le plus banal qui soit. Là, il s'agit d'un thriller horrifique psychologique, donc demandant un minimum de crédibilité. Ce n'est pas du tout la même chose.
Les deux premiers tiers sont donc d'un grand film, le dernier celui d'une déception. Mais dans sa globalité, Last Night in Soho est-il une entreprise opportuniste pour se faire bien voir des wokes, ayant la fâcheuse tendance à faire la pluie ou le beau temps aujourd'hui, avec quelques cartes faites pour volontairement brouiller les pistes (pour prévenir cette critique !),
genre le vieux mâle blanc joué par Stamp est indubitablement un gros connard pour le personnage principal avant de se rendre compte comme une conne que ce n'est pas le cas, genre l'antagoniste principal est une femme, même si elle a comme raison d'agir une domination des hommes écrasante et d'une injustice écœurante,
ou alors est-ce un plaidoyer féministe sincère de Wright, invitant à réfléchir avec lucidité sur le passé et sur sa nostalgie d'une époque qu'on n'a pas forcément connue ? Au moins, il reste une ambiguïté dans la conception du film, faute d'être dans celui-ci même.