"Le bal des maudits" fait partie des grands succès d'Edward Dmytryk avec "Ouragan sur le Caine" ou "l'homme aux colts d'or". Le cinéaste Dmytryk est un peu touche à tout et a commencé sa carrière cinématographique dès les années 1920 au bas de l'échelle.
Ce film assez long (2h40) veut donner une vision du conflit de la seconde guerre mondiale à travers le regard et le devenir de trois soldats, deux américains et un allemand. Le scénario est tiré d'un roman d'Irwin Shaw (1948) que je ne connais pas. Il fut un temps où je l'ai cherché en vain … C'était bien avant internet et les réseaux de bouquinistes. Peut-être aurais-je plus de chance maintenant ?
Ce que j'aime bien dans ce film c'est le montage sous forme de petites scènes, prises de façon non continue, sur chacun de ces trois personnages. Certains parleraient de clichés, personnellement je les considère comme hautement symboliques, comme des jalons dans la vie de chacun de ces soldats.
Et de fait, chacune de ces scènes n'est pas neutre sur l'évolution intellectuelle et morale de chacun d'entre eux.
Ce que j'aime surtout dans ce film, c'est le non-manichéisme assumé du cinéaste. Il n'y a pas de bons ou de mauvais bougres, il y a juste des héros dont les destins allemands ou américains sont strictement parallèles sans se rejoindre.
Il y a en particulier un parallèle que je qualifierais bien d'audacieux où le cinéaste décrit une scène d'antisémitisme dans l'armée américaine alors que c'est le seul point qu'on ne peut pas attribuer au soldat allemand (il est vrai qu'il appartient à la Wehrmacht).
A la fin, les trois soldats découvrent - à peu près en même temps - un camp de concentration en Allemagne. Les mêmes saines colère et horreur envahiront les âmes des trois héros.
Il est temps de parler de la distribution du film. D'abord, ces trois soldats ...
Je vais commencer par Marlon Brando dans le rôle du soldat allemand Christian Diestl. Pour la petite histoire, Brando a exigé d'être un officier et aurait fait faire un costume avec des étoiles plus grosses que réglementaires ; ça prête plus à rire qu'à autre chose car ça ne change rien au sens profond du film. Le personnage est un fils de cordonnier pauvre qui a dû abandonner de prometteuses études de médecine. Au départ, dans une scène splendidement réalisée, Christian Diestl est dans les Alpes Bavaroises, en 1938, dans un refuge de montagne et explique à une femme américaine qu'il entraine au ski pourquoi il est nazi et croit en un avenir meilleur. Bien sûr, il ira de désenchantement en désenchantement en croisant la bassesse, la vilénie qui ne sont pas compatibles avec ses idéaux de départ. Le premier avertissement, il va le trouver en France auprès d'une femme, Françoise, hostile aux allemands, le dernier sera au camp de concentration. Avec de nombreuses scènes souvent muettes et courtes comme celle où il croise un enfant mutilé dans un Berlin dévasté. Un grand acteur dans un grand rôle qu'il sert parfaitement et justement.
Le deuxième soldat, Michael Whiteacre, est interprété par Dean Martin. Le personnage est un chanteur américain célèbre, au caractère veule qui essaie de se défiler à ses obligations en usant de diverses cordes de rappel auprès de ses connaissances. Mais il finit par avoir honte de son comportement notamment au vu de son camarade, le troisième soldat de notre histoire. Dean Martin amène un peu de décontraction mais aussi un regard aigu du fonctionnement de l'armée.
Justement ce troisième personnage, Noah Ackerman, est interprété par un Montgomery Clift complètement habité par son personnage. Le troisième soldat est un jeune juif, pauvre mais plein d'une volonté farouche, victime pendant ses classes d'un officier raciste. Ce qui nous offre une courte - mais absolument jouissive - scène où son comportement est démasqué par le colonel du régiment qui le saque de belle façon. Noah Ackerman est le héros positif de l'histoire. C'est le seul des trois soldats qui rencontre une jeune femme, Hope, avant d'être enrôlé et qui en tombe passionnément amoureux. La rencontre avec le père de Hope est juste magnifique et pleine d'émotion. Ils signifient l'avenir.
Parmi le reste du casting, j'aimerais évoquer les femmes du film qui ont des registres très différents et très chargés de sens.
En premier, évidemment Hope, interprétée par Hope Lange. Le prénom est tout un programme.
Ensuite, le contraire absolu de Hope, Gretchen Hardenburg, épouse d'un officier brillant (Maximilian Schell), chef de Marlon Brando. Le personnage est joué par une actrice suédoise May Britt. Blondes toutes les deux, belles toutes les deux, elles diffèrent par leur attitude. Autant Hope incarne la femme aimante et fidèle, autant Gretchen est ambitieuse (pour son mari ?) et mène une vie de plaisir avant de devenir carrément dissolue (la grandeur suivie de la décadence).
Deux femmes françaises méritent le détour :
- Dora Doll qui retrouve à Paris un ancien amant en la personne d'un photographe allemand enrôlé, copain de Marlon Brando
- Liliane Montevecchi qui joue le rôle de Françoise. Elle rencontre Christian (Brando) et marque une hostilité marquée au départ face au conquérant et bel aryen, plein de ses illusions du rôle salvateur du nazisme. Au fur et à mesure des désillusions de Christian, son comportement s'inversera pour faire apparaître une certaine empathie. Personnage intéressant.
Dernier personnage féminin : Barbara Rush qui est la copine et le bon génie perpétuellement amoureuse du deuxième soldat Michael. Personnage beau et complexe.
"Le bal des maudits" est une film impressionnant, réalisé avec minutie, qui met en scène des personnages charismatiques dont on se souvient longtemps après les avoir vus.
Un chef d'œuvre profondément humain et humaniste