A la sortie de la séance du BGG, pourrait-on presque s'installer confortablement dans le sofa moelleux d'un psy et lui raconter notre enfance. Rien de régressif dans le dernier Spielberg en date mais une mosaïque d'emprunts littéraires. De celles qui ont constitué notre imaginaire et amorcé notre culture de gosse. Sur le terrain de l'enfance, le BGG est un éveil à la culture. Un puits sans fond de références conscientes et inconscientes où le cinéaste barbu à casquette nous entraîne pour un voyage coloré et teinté d'une amitié peu ordinaire entre une petite fille et un géant.
Avant de pénétrer dans ce nouveau Neverland, deux efforts seront demandés. Le premier est, sans être passéiste, de se tourner vers ces années qui ont constitué nos repères et le second de se munir de notre essentiel bagage intellectuel emplit de contes et de légendes. Tous les longs-métrages du Wonderboy sont nourris de littérature. "Jaws" se réclame de Hermann Melville, "Rencontres du troisième type" et "AI" font de l'oeil à Carlo Collodi, "Indiana Jones et le temple maudit" s'inspire d'un poème de Kipling et "La guerre des mondes" puise chez HG Wells ! Tout le décorum du BGG se polarisera quand à lui sur la littérature anglo-saxonne. Le folklore de la prose Anglaise dont l'héritière directe n'est autre que J.K. Rowling, miroir à l'instar du dernier né de Spielberg des oeuvres de Dickens et en l'occurence de Oliver Twist. L'Orphelinat bien sûr, cadre essentiel marquant les origines sociales du héros et le souhait de s'en échapper. Entre le protagoniste de Dickens et la jeune Sophie, il n'y a qu'un pas que nous franchirons allègrement. Nous pouvons d'ailleurs en retrouver le reflet chez l'héroïne de Frances H. Burnett en la personne de Sara Crewe, fillette de sept ans orpheline suite au décès de son père. "La petite princesse" reste à ce titre l'une des références les plus prégnantes du BGG. Transition efficace qui laisse place à la magie de JM Barrie, créateur de Peter Pan et dont Spielberg en a fait une extension en demi-teinte en 1992 avec Hook. Là encore, les similitudes sont légions avec le dernier opus Spielbergien : Un Londres charbonneux, un galion de pirate en guise de lit proche du Jolly Roger du Capitaine Crochet et les lucioles de songes, incarnation à peine voilée de la fée clochette ainsi que les éternels enfants perdus. Le passage dans le monde des géants est également proche du Neverland de Pan avec un soin tout particulier apporté au palier qui confond les deux mondes : Un mélange de nuages, d'éclair et de sol terrestre. Si les contes insistent tant sur le décor éminemment réaliste de nos héros : ville emblématique, héros issu du prolétarisme, abandon parental, c'est avant tout afin de nous immerger dans un bain d'émerveillement. Il est quasi évident de la référence frontale faite par Spielberg à "Jack et le haricot magique" (dont Bryan Singer tira un joli film d'aventure) où le héros palefrenier en guenilles se voyait passer d'un statut peu enviable à celui de Prince du Royaume. En ligne de mire, les géants carnivores, insurpassable épreuve que Jack tentera de surmonter comme Sophie, héroïne modeste mais dotée d'une repartie et d'un courage à toute épreuve.
Nous ne nous attarderons pas sur ce qui fait la faiblesse de l'oeuvre de Spielberg et des nombreux écueils qui en altèrent le plaisir (histoire étriquée, personnages secondaires sacrifiés) afin d'en révéler la richesse symbolique. A la sortie de la projo Cannoise, la presse s'est empressée d'assimiler le BGG à Spielberg à la manière d'Edward aux mains d'argent pour Burton. C'est en partie vrai mais cet autoportrait est avant tout un exorcisme de l'enfance. Le gamin né à Cincinnati dans l'Ohio en 1947 est un p'tit gars nourri de BD, de romans, de Ciné et de tube cathodique. Ce dernier lui donnera ses premières opportunités chez Universal à travers quelques séries populaires. Le BGG/ Spielberg est donc celui qui met en scène les rêves des enfants. Celui-là même qui à la manière d'un cinéaste des années 40 comme Michael Curtiz porte les ombres sur les murs de la grotte et improvise une rencontre entre un petit garçon et le Président des E.U. Et même s'il se voit martyriser par ses copains de classe qui brisent ses jouets (référence à Microbe maltraité par les géants), l'enfant poursuit ses rêves en jouant à cache-cache dans un Londres factice issu d'un imaginaire enfantin. Spielberg se dessine donc par le truchement d'effets spéciaux derrière une table en goutant copieusement les plats princiers devant une autorité (la Reine ou bien sa mère) jetant de temps à autre un oeil à Sophie (ou sa soeur) avant d'aller jouer dans sa chambre en se faisant s'affronter des soldats de plomb et des géants sanguinaires bobybuildés. Steven met en scène et c'est ce qu'il sait faire de mieux.
A l'heure où le Comic on 2016 se referme et la promesse de divertissements revus et généreux en matière de spectacle (les univers étendus de King Kong / Godzilla, le DCCU, Le Roi Arthur), Spielberg décoche de son côté son arme ultime : Un être de 7 mètres de haut bien plus organique dans son traitement que bien de nouveaux standards. Le geste est noble, un peu désespéré pour ne pas dire pathétique. La guerre des billets verts se résume aujourd'hui à une poignée de dollars engrangées au box-office. C'est triste mais le cinéaste reste cohérent avec son annonce de 2013 concernant l'inflation des budgets et l'implosion du système. Sa réponse est actuellement sur les écrans : Un anachronisme confondant pour ce BGG mal fringué. Mais n'en doutons pas, il y a du coeur sur la toile durant les 120 mn de rêve offert.
Le Bon gros géant n'est pas le meilleur Spielberg, ni même un film mineur dans la carrière du réalisateur mais une peinture tendre et une oeuvre lettrée dont la lenteur et le soin apportés en fait un objet de ciné irrésistible. Une pelloche moelleuse qui prouve que pour l'instant le prof Spielberg pose son manuel d'historien et s'offre une récrée, les yeux tournés vers les étoiles.