Le BGG fut un échec commercial. Produit par Disney et dirigé par Steven Spielberg, son budget le condamnait à une carrière de blockbuster « enfantin ». Or, qu’est-ce qu’un blockbuster ? Un film qui s’astreint à plaire à la critique, aux adolescents américains et chinois, et, incidemment, aux enfants et à leurs parents. La martingale a été largement éprouvée : du second degré, différents niveaux de lecture et d’innombrables références aux blockbusters précédents, de Schrek à Moi moche et méchant. Or, Spielberg se refuse à jouer le jeu. Respectant à la lettre l’œuvre de Roald Dahl, il livre un véritable film pour petits et grands enfants. Tout au plus pouvons-nous regretter qu’il en atténue les rugosités.
Roald Dahl a souffert. Souffert de perdre son père et sa sœur aînée. Souffert de la discipline impitoyable des internats britanniques. Souffert de la légèreté avec laquelle ses supérieurs l’ont envoyé combattre en 1940 après quelques heures de vol : des seize élèves de sa promotion, seuls quatre survivront. Souffert de la mort de sa fille aînée, puis de la maladie de son fils. Le monde de Roald Dahl est dur. Ses jeunes héros luttent pour survivre. S’ils font preuve de débrouillardise, ils n’hésitent pas à se venger, pour la plus grande joie de ses lecteurs qui, s’identifiant à eux, relativisent leurs propres difficultés.
Sophie (Ruby Barnhill) est une orpheline d’une dizaine d’années. Elle connaît les Trois lois : « Tu n’ouvriras pas les yeux la nuit, tu ne quitteras pas ton lit et tu n’iras pas à la fenêtre, SURTOUT à trois heures du matin. » Les enfants indisciplinés disparaissent à jamais, dévorés par des ogres. Sophie désobéit et découvre que les croque-mitaines des contes sont des géants et que, parmi eux, vit un bon géant, un doux poète. Enlevée par le BGG, elle ne regrettera pas l’orphelinat, qu’elle déteste, et découvre un univers merveilleux, le Pays des Géants et celui des Rêves.
Très proche du dessin initial de Quentin Blake, le visage du BGG est mobile et attachant. Sa maison est un enchantement : aile d’avion, cabine de téléphone, brouettes et bateau sont intelligemment réemployés. Spielberg joue adroitement des différences de taille et des rêves. Bien que réussis visuellement, les compères géants sont sous-employés et leurs différents personnages se confondent. Le combat final est trop vite expédié et nous ne saurons rien de leur vie et de leurs forfaits passés. Le roman est bien plus explicite sur leur cruauté, ils mangent véritablement les gamins désobéissants aux Trois lois. Ce faisant, Spielberg peine à remplir les deux heures de projection.
Les enfants apprécieront le langage du BGG, sa franchise et son extraordinaire capacité à se jouer des adultes en se cachant. Enfin, que les plus jeunes se méfient des fenêtres ouvertes la nuit !