J'ai beaucoup aimé le roman de Paul Féval, j'apprécie énormément le cinéma frais et divertissant de Philippe de Broca, même si je suis pleinement conscient qu'il pouvait un cinéaste très inégal (malheureusement, on en a une preuve-là), mais la combinaison de ces deux talents donne un résultat qui m'a laissé une impression pour le moins mitigée.
D'abord, les incohérences m'ont empêché de pleinement rentrer dans le film. Que ce soit bien clair, quand je parle d'incohérences ici, je ne parle pas de chipotages pour des trucs que l'on découvre à la loupe lors de la vingtième vision, je parle de choses qui vous sautent complètement à la gueule dès qu'on les voit.
Vous voulez des exemples... toute une noce est massacrée, domestiques compris façon Vieux Fusil, des cadavres d'hommes d'épée par-ci par-là, et c'est crédible de faire accuser un seul homme ? Ce massacre d'une noce, c'était nécessaire, même du point de vue cynique des méchants, parce que niveau discrétion on a vu mieux ? Les hommes de main qui n'examinent pas le cadavre du bébé ? Aurore qui manie le sabre avec maestria juste après avoir vu son père adoptif occire quelques pas beaux et apprend une botte complexe en deux minutes sans avoir la moindre expérience du combat auparavant ? Aurore capable de défoncer quelqu'un de très fort, mais pas capable d'envoyer valser le grand méchant Luchini, représenté comme un pleutre, pas habile pour se défendre physiquement ? Un protagoniste qui reproche à sa fille adoptive de ne pas être prudente, mais qui se trimbale avec un médaillon révélateur ou qui se met en contact avec Blanche à la vue de tous, sans essayer de se cacher ?
En dehors des très grosses incohérences bien bien visibles, j'ai été aussi gêné par une distribution inégale.
Si Daniel Auteuil s'en tire plutôt bien, si la sublime Marie Gillain apporte une fraîcheur bienvenue, si Fabrice Luchini vole la vedette à tout le monde dès qu'il se pointe et est savoureux dans le rôle du grand méchant fourbe et poltron (d'ailleurs, c'est une des très bonnes idées de l'adaptation d'avoir transformé le grand méchant, cruel mais courageux, du roman d'origine ainsi !), qu'on apprécie de revoir l'immense Philippe Noiret reprendre le costume du duc d'Orléans après Que la fête commence, Vincent Perez est franchement agaçant de cabotinage en duc goguenard et effronté, mais avec un grand cœur (tout le monde ne peut pas doser ce type de cabotinage avec talent, n'est pas Gérard Philipe, Errol Flynn ou Gene Kelly qui veut !) et Claire Nebout est d'une fadeur incroyable, elle est inexistante.
Autre aspect qui m'a gêné, il concerne la BO. L'"Intermezzo" du Cavalleria Rusticana de Mascagni est sans conteste un des plus beaux morceaux de musique de tous les temps. Mais il ne colle absolument pas avec l'atmosphère de l'époque du film. Cela passerait si la mise en scène et le reste de la BO avaient des ambitions d'anachronisme. Là, ce n'est pas du tout le cas. Le reste de la BO, composée par Philippe Sarde, est très bien dans le respect de la musique de l'époque du film, et donc l'utilisation de Mascagni n'en fait que plus tache. Il n'y avait pas moyen de composer un thème musical mélancolique qui soit raccord avec le reste ?
Pour la fin, elle est tellement expédiée, qu'on croirait celle d'un vieux feuilleton policier allemand avec le générique qui arrive brutalement à peine la phrase "Vous êtes en état d'arrestation !" prononcée. Il y avait moyen d'ajouter un peu de matière non-négligeable à l'histoire et aux personnages en faisant durer le truc quatre-cinq minutes de plus. Là, le cadavre de Luchini n'est même pas encore froid.
À propos de la fin et des personnages d'ailleurs, autant bizarrement dans le roman, cela ne m'avait pas gêné, peut-être parce que je n'avais pas fait l'effort de visualiser, autant voir dans ce film un type finir en couple avec quelqu'un à qui il a changé les couches, j'ai du mal. Dans cette optique, j'ai plus vu les relations entre les deux principaux protagonistes comme des liens père-fille que comme celles de deux amoureux.
Bon, après, il faut peut-être en venir aux quelques points positifs qui n'ont pas encore été évoqués.
Le visuel, des points de vue de la photographie et de la reconstitution, est soigné.
Le fait d'avoir emprunté au Capitaine Fracasse, en incluant la troupe de comédiens, montre que c'est dans les vieux pots qu'on fait les meilleures soupes.
Avoir transformé Aurore en battante, qui ne se laisse pas faire. Autant dans le cinéma d'antan, ça passait de laisser la fille s'appuyer passive contre un mur dans un coin, l'air apeuré, sans rien glander, en attendant que son amour tue tous les gros affreux méchants, autant dans les années 1990, cela aurait fait ridicule.
Bon, résultat, malgré quelques qualités et quelques bonnes idées, cette œuvre est globalement une déception venant d'un réalisateur qui était capable de faire beaucoup mieux, sachant qu'en plus il s'appuyait sur un grand roman.