Éreinté, nauséeux et révolté sont les adjectifs qui me définissent le mieux après le visionnage du film “Le Capitaine Volkogonov s’est échappé” du duo de réalisateurs russes exilés Natalia Merkoulova et Alexeï Tchoupov. URSS, 1938. Au pic de la grande terreur, Staline purge ses propres rangs avec une férocité sans précédent. Les hommes qui mettent en œuvre cette sanglante et aveugle répression sont eux-mêmes arrêtés et exécutés. Au nom de “l’article 58” accusant quiconque d’être un terroriste, un traître à la nation ou encore un espion à la solde de puissances étrangères, chaque citoyen - qu’il soit un homme, une femme, un enfant ou un vieillard - risque sa vie à chaque minute. C’est dans ce contexte délétère de paranoïa collective, instrumentalisée par le parti que nous faisons la connaissance du Capitaine Volkogonov (Youri Borissov). Accoutré avec un vêtement rouge, celui du NKVD (entre le survêtement et l’uniforme), la carrure d’athlète, le crâne rasé, le pistolet mauser dans son holster d’épaule, dissimulé sous une veste, Volkogonov est l’archétype même des membres de la police politique de Staline. En un seul plan, celui de plusieurs ballots de paille éparpillés et ensanglantés en guise de tapis de sol d’un bureau aux dorures et aux moulures magnifiques, Nathalia Merkoulova et Alexeï Tchoupov nous montrent que le totalitarisme - dans ce qu’il a de plus cruel - occupe toujours des endroits prestigieux, ici, un ancien palais se voit transformé en salles d'interrogatoires et de tortures. Pour l’heure - entre deux rafles - Volkogonov prend du bon temps avec ses compagnons, mais leur statut d’intouchables prend fin, lorsqu’un piège interne se met en place. Suspicieux, Volkogonov parvient à s'échapper. Commence alors une chasse à l’homme dans les rues de Leningrad (aujourd’hui, St-Pétersbourg). Dans des décors fous à l’architecture parfois anachronique, le long-métrage se mue en un récit à l’orée du fantastique, lorsque le Capitaine est la proie d’une vision, celle d’un camarade assassiné revenu de l’enfer, l'enjoignant à se confronter aux familles de ses victimes afin d’obtenir leur pardon et par là même son paradis. Pour Volkogonov - errant dans le purgatoire de sa conscience - il ne s’agit plus de sauver sa peau, mais bel et bien de sauver son âme. Parcouru par des scènes absolument terrifiantes et par des moments où l’humour noir se joue du spectateur, “Le Capitaine Volkonogov s’est échappé” est un thriller aux accents parfois oniriques et philosophiques sur l’un des plus grands massacres perpétré en Europe en temps de paix…
Staline et ses sbires auraient mérité leur Nuremberg !